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L'éventail d'une belle est le sceptre du monde. Sylvain Maréchal.
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OCTAVE UZANNE
Illustratioiîs de PAUL AVRIL
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PARIS
A. QUANTIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
7, RUE SAINT-BENOIT, 7 1882
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Avant-Propos
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gligé du home, au sortir de sa table de travail, avec le demi-sou- rire satisfait que fait naître aux com- missures des lèvres la béatitude ex- pansive de Toeuvre accomplie. Il lui semble maintenant, avec cette fougue heureuse de Fimagination qui dé- roule au cerveau des décors d^apo- théose, que son labeur ne fut qu'un rêve, et que, portées jusqu'à lui sur
des nuages roses, des nymphes moitié fées, moi- tié muses, lui ont facilité sa tâche en lui tenant douce compagnie et lui inspirant ardeur, con- stance et bonne fortune. Les Grâces elles- mêmes, si délaissées depuis le dernier siècle, lui eussent apporté, Tune la plume magique arrachée à Foiseau de Cypris, l'autre Téventail encyclopédique qui sait narrer son histoire comme les jolis bijoux de la fable, tandis qu'une troisième eût distillé dans l'encre par- fumée de l'écritoire l'essence poétique des fleurs de la double colline, que l'écrivain charmé ne serait ni plus épanoui ni mieux disposé à faire trois pas vers le lecteur, la main tendue, le geste arrondi, avec cette expression d'allure qui semble dire : Seyez-vous et causons.
Causons donc, s'il vous plaît, de cette cau- serie intime qu'un terme plus malpropre qu'im- propre appelle le déboutonné de la conversation, ce qui n'en implique pas le décousu.
n Eventail que voici et dont le texte court ou serpente à travers les enluminures de ce livre n'est point un ouvrage de haute sapience éru- dite, digne de faire mettre les besicles de forte taille aux magisters et éminents savants de la chrétienté, lesquels je tiens en respect et pro- fonde estime, mais que je ne me pardonnerais oncques d'avoir dérangé pour festin si peu abondant en mirifiques découvertes archéologi-
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ques. — Je ne m'adresse point, j'y insiste, à messires les positivistes du document exact, à ces patients chercheurs du passé, à ces déter- reurs de lettres mortes qu'un naturaliste dis- ciple de BufFon. eut l'étrange envie de classer parmi les mammifères catalogués sous le nom de Fouisseurs , dans le domaine de ces ramo- neurs souterrains qui font pointer des monti- cules piriformes au milieu des jardins d'agré- ment.
Faire œuvre de grande science, remuer de volumineux in-folio, appeler à soi la linguis- tique, l'orientalisme, l'archéologie dans toutes ses branches, les pères de l'Eglise, les pé- dants en us de l'Allemagne, et tous les bonnets carrés des savants de Hollande, pointer des notes, piquer des fiches, s'enterrer sous des col- lines de pièces justificatives, de reproductions variées, analyser la bibliographie bibliographi- que des œuvres écrites sur l'Éventail, tout cela au sujet de ce délicieux colifichet de la femme que nos aïeux plus spirituels se sont contentés de chanter ou d'empapilloter àe petits vers aima- bles, c'eût été, à notre sens, commettre une lourde sottise et attacher en quelque sorte par com- paraison un poids formidable aux mignonnes antennes d'une libellule.
Une jolie femme, dit un proverbe oriental, est née avec une couronne de roses et de jolis
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^-r^:^: berceau; tout fleu- rit autour d''elle ; tout ce qu'elle touche ou tout ce qui la pare ' mérite d'être divinisé, et c'est en songeant à la '% publication de plusieurs volumes sous ce titre collectif; les Ornements de la femme, que je me suis pris à écrire VEventail qui ouvre la série de ces petits livres de boudoir.
A la suite, viendront le Parasol et l'Ombrelle, les menus objets de toilette et le Manchon, ce joli fourreau ouaté, parfumé, fourré, où les mains se faufilent frileuses comme de douces colombes qui rentrent au nid. — Du Manchon, qui ne fut point toujours l'unique apanage du beau sexe et qu'on put voir, dans les promenades au Cours, passé par un ruban au cou des petits-maîtres et des abbés galants, se balançant sur le satin du gilet or le velours de l'habit, au milieu des grandes froidures de l'hiver; du Manchon, ornement du dehors, je conduirai le lecteur à la Chaussure, à l'ensorcelante petite Mule, cette friponne qui cache son museau de soie ou de maroquin sous le flot des dentelles et que Fragonard nous fait voir dans les Hasards de
r escarpolette, lan- \ ^ * %
cee gracieusement en l'air, s^en volant ^
plutôt que tombant à terre, avec un esprit et une volupté de facture qui né se retrouvent plus que dans les peintures des Gythères d'autrefois. Ne sera-t-il pas charmant de se complaire dans l'histoire de ces coquets Souliers de femme, qui eurent tou- jours leurs fanatiques admirateurs et qui inspirè- rent à Restif de la Bretonne le roman du Pied de Fanchette, qui débute comme un chant de poème épique : Je suis l'historien véridique des conquêtes brillantes du pied mignon d'une belle?
Ne me sera-t-il pas permis d'aborder ensuite le Gant, ce souple protecteur des blancheurs rosées et veloutées de la main, et de le décrire, depuis les gants de cuir ouvrés, les gants de soie, les gants parfumés d'Espagne jusqu'aux gants du damoiseau et aux longs fourreaux de peau de daim qui emprison- nent aujourd'hui si délicieusement les bras charnus,
plus ,.haut que les rieuses fossettes du coude, de nos coquettes de goût? Le Bas peut-être aura son tour et s'arrêtera à la jarretière; puis les diamants' jetteront leurs feux comme complé- ment à cette monographie des Ornements de la femme, écrite pour la femme, à elle destinée, afin de lui former cette enviable bibliothèque de chevet où tant d'auteurs modernes rêvent de trouver leurs œuvres vêtues de maroquin céleste ou de chagrin poli.
Parmi tous ces bijoux de Tornementation féminine, VÉvenîail devait avoir la'priorité, car, au pays de la grâce et de l'esprit, il brille encore au premier rang. C'est au sujet du jeu de l'Even- tail qu'une amie de M™« de Staal-Delaunay écrivait, sous la Régence, la judicieuse et fine observation que voici : « Supposons une femme délicieusement aimable, magnifiquement parée, pétrie de grâces et de gentillesses, qui n'aime pas les bains parce qu'ils sont humides, les glaces parce qu'elles sont froides, le vinaigre parce qu'il est acide , le feu parce qu'il est chaud; une femme enfin qui ait toutes ces prérogatives , et qui conséquemment soit du meilleur ton; je dis que cette personne, malgré tant d'avantages, sera persiflée si elle ne sait pas manier l'Éventail. Il y a tant de façons de se servir de ce précieux colifichet qu'on dis-
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tingue par un coup d'Éventail la princesse de la comtesse, la marquise de la roturière. Et' puis, :s^ quelle grâce ne donne-t-il pas à une dame qui _, sait s'en servir à propos ! Il serpente, il voltige, ... il se resserre, il se déploie, il se lève, il s'a- baisse selon les circonstances. Oh! je veux bien gager en vérité que, dans tout l'attirail de la femme galante et la mieux parée, il n'y a point d'ornement dont elle puisse tirer autant de parti que de son Éventail ! »
Il est un cliché bien usé depuis longtemps dans le journalisme courant et qui consiste à dire : Ce serait une curieuse histoire à écrire que celle de l'Eventail.
Ai-je en partie réalisé |ce desideratum qui semblait dans l'air ? Je ne sais, car je compte déjà de patients prédécesseurs qui ont écrit des livres spéciaux et peut-être trop techniques sur VÉventail. Ces ouvrages, auxquels j'ai eu parfois recours, sont à celui-ci ce qu'autour est à alen- tour dans la définition précise qu'indique notre langue. J'ai plutôt butiné sur l'histoire litté- raire de /'Éventail que sur la grosse histoire des Éventails, recherchant, dans l'étude histori- que de nos mœurs, le côté des grâces et de l'es- prit, les paraphrases ingénieuses faites en tous temps sur ce paravent de la pudeur, fantaisiste dans ma personnalité, passant du grave au doux,
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et apportant quelques aperçus et certains docu- ments inédits dont il m'importe peu de tirer vanité. Je m'adresse au public dilettante qui aime souvent mieux un paradoxe qu'un froid dilemme de logique. C'est du monde des lettres et des lettrés que je ré- clame des suffrages sympathiques et des approba- tions intimes sur la forme de ce livre, sa contex- ture spéciale, l'originalité de ses illustrations dont je ne crains pas de revendiquer la conception, sur le texte qui court comme l'esprit de l'auteur à travers tous les casse-cou des compositions diverses, sur l'ensemble, en un mot, d'un ouvrage très spécial duquel il me serait peut-être quelque peu pénible d'entendre dire (l'opinion n'étant formulée ni par un envieux ou un sot) que l'auteur, qui se retire et salue en terminant, a fait un naufrage littéraire et qu'il ne se sauve ici que de planche en planche, de vignette en vignette, à l'exemple des Dorât et des Baculard d'Arnaud, ces pâles affadis qu'on oublie d'oublier grâce à Eisen, à Choffard et à Moreau le jeune, ces immortels artistes de l'académie des grâces qui ne signèrent peut-être que trop peu d'Éventails.
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... La pomme fut décernée à Cypris. Offrant cet Éventail je dis comme Paris : Il est pour la plus belle.
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''ÉPITRE dédicatoire s'en va grand^erre, Madame, depuis que les auteurs amari- vaudés, les gentils poètes de l'art d'aimer, les abbés coquets, les espiègles marquises qui tenaient « petit lever y^ , et surtout les puissantes altesses sérénissiines, ont rejoint sous l'avalanche des neiges d'antan les douces et /risques souve- raines d'autre/ois et tous les preux chevaliers des immortelles ballades de maistre Villon. Cette pauvre éphre dédicatoire, qui fut, sinon une basse flatterie salariée, au moins la plus exquisepolitesse de l'écrivain d'honneur et son salut le plus cour- tois, cette épttre expressive qui avait tant de grâce et de si jolies manières de style a déjà rejoint les usages surannés de la veille et prend chaque jour une allure plus rococo et plus vieillotte qui la fera bientôt défi- nitivement sombrer dans l'évolution si piteusement pro- gressiste des positivistes de ce temps.
Soiiffre\ cependant, Madame, qu'il me soit permis, en dépit des souris équivoques et, quoi qu'on die, de
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professer aujourd'hui précieusement en votre faveur le culte des galanteries d'un autre âge et ^^y)^ de vous faire ici hommage de ce mignon volume [plus littéraire que savant, historié plutôt qu'his- torique, dans le sens académique du mot, mais écrit avec la sensation d'aisance et tout l'agré- ment que procure un thème agréable sur lequel la fantaisie trouve encore à semer broderies et arabesques.
Si j'avais écouté les conseils d'ime imagina- tion fantasieuse, j'' eusse voulu, afin de vous offrir plus galamment cet ouvrage, in équiper en cou- reur de bonnes fortunes, à la manière des amou- reux de Watteau et des tendres soupirants de Lancret ou de Pater. C'eût été, vêtu en roué de la régence, sous la dentelle et le velours, heu- reux de pirouetter sur un talon rouge et de se- couer la poudre d'Ambrette ou de Chypre d'une perruque blonde, que j'aurais aimé à vous sur- prendre, dans une rêverie vague, sous quelque bosquet plus mystérieux que les anciens berceaux de Sylvie, afin d'accentuer mon cérémonial et de vous réciter quelque joli madrigal de circon- stance qui vous eût fait adorablement rougir et agiter votre Éventail avec une grâce de mer- veilleuse qui se pâme.
Est-il bijou plus coquet que cet Eventail, ho- chet plus charmant, ornement plus expressif, dans les mains d'une reine de Vesprit telle que vous ?
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Lorsque vous manie:^ le vôtre dans les coquette- ries des réceptions intimes, il devient tour à tour l'interprète de vos sentiments cachés, la baguette magique des surprises féeriques , l'arme défen- sive des entreprises amoureuses , le paravent des pudeurs soudaines, le sceptre, en im mot, de votre troublante beauté. Soit qu'il voltige doucement sur les rondeurs émues et satinées du corsage, semblable à im papillon géant butinant sur des fleurs, soit qu'il ponctue l'ironie d''une épigramme ou qu'il accentue le gazouillement rieur des minauderies friponnes, soit encore qu'il masque à demi l'insolence d'im bâillement que provoque la fadeur d'un discours, ou qu'il voile discrète- ment les roses incendies qu'allument au visage les brusques aveux d'amour, l'Eventail demeure auprès de vous le plus adorable ornement de la femme, celui qui met le plus spirituellement en relief ses fines manières, son élégance native, son esprit et ses grâces enchanteresses.
Que vous soye:{ inconstante ou médisante , capricieuse, curieuse, nerveuse ou voluptueuse , hautaine ou puritaine, câline ou chagrine, V Eventail prendra toujours l'allure et l'expres- sion de votre état moral : inquiète, vous le flxere:^ longuement ; indécise, vous le ploiere:{ fébrilement ; jalouse, vous ire^ jusqu'à le mar- quer de vos jolies dents d'ivoire; trahie, vous le laisserez tomber avec accablement ; colère, vous
le lacérerez et le jettere^ au vent. En toute solitude, en toute désespérance, il restera votre confident, et c'est encore à lui, à votre Éventail, Madame, que je dois aujourd'hui le bonheur de vous dédier ce livre.
C'est à ce bijou léger que je dois d'avoir écrit cette esquisse littéraire; d'autres l'ont chanté en alexandrins, invoquant les Muses inspiratrices, les Parnassides favorables et ces doctes sœurs qui font si maigrement l'aumône aux pauvres poètes marmi- teux. Je n'ai appelé ici que votre souvenir, soleil d'or qui traverse les nuages gris de ma mémoire et qui a fait fuir dans le rayonnement de son sourire lapédan- terie, cette vieille fille à lunettes, et la lourdaude érudition dont les amants ne sont qu'impotents bureau- crates aux greffes des littératures anciennes.
Accepte^ donc ce volume. Madame, accueille:{-le en favori et conservei-le en fidèle : il porte Vq^ dono d'un de vos admirateurs qui est aussi im fervent che- valier de l'espérance. Si j'exprime ici des sentiments frileux, c'est que j'ai appjns à mes dépens à ne plus sonner trop haut la fanfare des ambitions du cœur, sachant que les femmes aiment le mystère et que les amours, pour jouer à la main chaude, ne demandent quelquefois que le nid douillet d'un manchon où s'est glissé, en tapinois, un doux billet bien tendre , qui réclame peu, mais qui espère beaucoup, à Venveis du pauvre amant de la Sophronie du Tasse.
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(^ï^^^u trouver la meilleure paraphrase du mot l^^^Wi Éventail ? Messieurs de FAcadémie le défi- ^^;^^ nissent par petit meuble qui sert à éventer, Richelet et Furetière optent pour instrument qui fait du vent et ne donnent à ce terme aucun sexe appro- prié, soutenant que les meilleurs auteurs peuvent écrire sans faillir : un bel éventail ou une jolie éventail. Littré, plus concis, proclame le masculin et fournit peut-être la plus exacte définition dans le vague de cette périphrase : Sorte d'écran portatif avec lequel les dames s'éventent. Sur ce simple mot, il y aurait déjà matière à controverse et tous les Ménage et les Balzac de ce siècle pourraient argumenter pendant de longues dissertations sans parvenir à trancher définitivement la question an petit meuble ou du petit instrument.
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L'origine de l'Éventail est restée jusqu'à ce jour le plus impénétrable mystère archéologique; c'est en vain que toutes les plumes ont sondé cette grosse bouteille à l'encre et ont écrit d'ingénieuses com- pilations très curieusement étayées de documents précieux ou de citations en toutes langues; le point d'interrogation reste toujours debout comme un diabolique signe hiéroglyphique sur lequel s'es- crime l'érudition des archéologues.
L'invention de l'Eventail a fait écrire plus de chapitres et de réfutations qu'on ne pourrait croire : Nougaret, sous ce titre qui fut si souvent pris au xvni* siècle, l'Origine de V Eventail, a fait un conte dans le Fond du sac, où il s'écrie ironiquement :
Moi, rimeur ! Gomment parler net De l'Éventail ? Son inventeur, son père, Quel est-il? Répondez, confident de Clio : Instruisez-moi; je crois en vous; j'espère Tirer parti de vos in-folio, Répertoires maudits ! Aucun ne m'endoctrine. L'un me fait voyager de l'Espagne à la Chine Et me montre, en cent lieux, ce meuble-là tout fait. Mais par qui ? Dans quel temps ? Voilà le point. Devine. D'un feuillage à longs plis l'autre, m'offrant l'effet, A l'ombre d'un palmier m'endort en Palestine. Sur l'Encyclopédie à huis clos je rumine : Pour mes cinq cents écus, je n'ai qu'un long feuillet Qui ne m'en dit pas plus que mon vieux Richelet.
Tenté de m'enrichir, je fouille en vain la mine : S'il s'y trouve un filon, c'est pour l'abbé Trublet. Que faire en pareil cas? que faire? On imagine. Allons, soit; viens, Amour, viens! Ma muse badine ■ Sans toi renoncerait à traiter son sujet.
Nougaret fait une fable charmante, semblable par rimagination à ces légendes qui prêtent à TEven- tail une origine curieuse dans quelques sérails d^Orient où la sultane jalouse donne à sa rivale qui l'insulte, sous les yeux de son maître, un furieux coup de ce serviteur des zéphirs, tandis que, som- bre drame, Peunuque s'approche, se saisit de la belle esclave insoumise et lui trancherait par ordre son col d'albâtre, si Tamour n'arrêtait le cruel au pathétique moment où la décollation s'apprête. Toutes ces gracieuses affabulations que nous retroii- verons quelquefois sur notre route ne méritent nulle croyance; telle cette his- toriette qui fait naître l'Eventail en Chine bien avant l'ère chrétienne et au cours de laquelle on nous montre la toute belle Ldm~Si, fille d'un très puis- sant et véné- rable manda-- - rin, suffoquée par la chaleur dans une fête publique,.
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s'oubliant jusqu'à retirer le masque qui voilait au peuple ses traits délicats, et, se prenant à Pagiter si joliment pour se donner de Pair, que la foule charmée, imitant l'éclatante fille du Ciel, inventa et confectionna aussitôt l'Eventail pour son usage journalier. Une autre tradition nous apprend que, vers l'an 670, sous l'empereur Tenji, un indigène de Tamba, voyant des chau- ves-souris ployer et déployer leurs ailes, eut l'idée de faire des éventails à feuilles qui portè- rent à cette époque le nom de Kiiwahori (chau- ves-souris). Ce qui nous importe, ou plutôt ce qui importe aux savants fiabellio graphes ou éventaillog7-aphes, ce sont les deux phases dis- tinctes de l'histoire de l'Eventail ; son invention au fond de l'Orient sous forme d'écran rigide, plus tard perfectionné en écran plissé, ayant la cocai'de pour transition, et son introduction en Europe si fort discutée, d'après des attributions variées qui donnent l'initiative de cette impor- tation à plus de dix peuples différents.
Dans l'Inde antique, écrit M. S, Blondel dans son Hisîo'we des Éventails che\ tous les peuples et à toutes les époques, dans cette contrée que l'on 'considère avec raison comme le berceau de la race humaine, l'Éventail, fait d'abord de feuilles de lotus ou de palmier, de bananier ou de jonc, étaitun instrument d'utilitéautantqu'un objet de parure. Son nom indoustan est pânk'ha.
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Les poètes sanscrits en parlent dans leurs des- criptions et la statuaire hindoue nous a conservé les formes particulières qu^on lui donnait. « Cette riche litière sur laquelle était couché le monar- que Pandore fut ensuite ornée d'un Eventail, d'un chasse-mouche et d'une ombrelle » , dit Krishna-Dwapayana, auteur du poème Muhâ Chârata^ lequel raconte dans un autre endroit que le roi Nîla avait une jeune fille douée d'une extrême beauté. Cette princesse servait con- stamment le feu sacré, dans le but d'accroître la prospérité de sonpère. « Mais, y est-il raconté, la jeune fille avait beau l'exciter avec son Eventail, il ne flambait pas tant qu'elle ne l'avait point ému avec le souffle sorti de ses lèvres char- mantes. Le céleste feu s'était épris d'amour pour cette jeune fille admirable à voir. »
Dans toutes les légendes qui tiennent une si grande place dans la littérature de l'Inde, dans tous les récits que les bouddhistes ont emprun- tés aux écrits brahmaniques, il est question de V Éventail, et l'on voit de jolies princesses, qui répondent à de doux noms tels que Fleur de Lotus ou Goutte de Rosée, agiter le tchamara ou quelquefois le chasse-mouche (tchaoùnry) avec une grâce parfaite, soit au sortir d'un bain à l'essence de rose, soit dans la voluptueuse attitude du repos sur des carreaux de soie pen- dant les matinées du mois de Vesâtha.
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Le tchamara était un Éventail en mosaïque de plume dont la poignée était de jade enrichie de pierres précieuses et qui était assujetti à un long manche lorsqu^il devait être porté dans les cérémonies, comme ces grandes fêtes annuelles de Djaguernauth pendant lesquelles on sortait la statue de Siva^ cette troisième personne de la trinité indienne, ce dieu de la destinée et de la mort qui tue pour renouveler, promené solennellement sur un char immense traîné par un éléphant et sous les roues duquel des fana- tiques se tapissaient pour être écrasés et broyés avec une étrange résignation à la loi inflexible de la trans- migration selon toutes les règles et préceptes du Pratimôkha.
Sur la côte de Malabar, lorsque Tidole princi- pale sort en public, portée sur le dos d^un éléphant magnifiquement orné, elle est accompagnée de plusieurs naïres ou nobles du pays, dont rem- ploi est d'éloigner les mouches de Tidole avec des éventails qu'ils portent au bout de cannes tort longues.
Des miniatures indoues, conservées au Cabinet des estampes ou au musée du Louvre, représentent différentes termes cL'éventails en plumes de ii\ i;^- I paon; des chasse-
(V^îy mouches dont les
comme la neige, sont fournis par des queues de buffles du Thibet et des écrans de Jonc tressé de diverses couleurs. L'orientaliste Langlès, dans ses Monu- ments anciens et modernes de l'Indoustan, décrit un bas-relief de la pagode d'Élépanta, où, derrière la représentation de Brahma et Indra, un esclave agite de chaque main deux longs chasse-mouches, attribut de la royauté, comme le sont encore PÉventail et le parasol à sept étages dans le royaume de Siam.
C'est bien dans Tlnde, dans ce pays des Mille et une Nuits, dans cet Orient ensoleillé où tout parle à l'imagination, depuis les trente-six mille incarna- tions de Bouddha jusqu'aux bizarreries miroitantes d'une architecture unique dans sa richesse décora- tive, c'est bien dans cette contrée des légendes et des songes qu'il nous plaît de placer l'origine de l'Éven- tail. C'est là qu'il nous apparaît, manié par de lan- goureuses danseuses dans un décor splendide, où le soleil fait éclater ses rayons d'or comme un prisme multiple sur la blancheur des minarets de mar- bre ou sur les dômes de porcelaine émaillée, sur les faïences vernissées des façades, sur de féeriques cor- tèges où la soie des habits se marie au scintillement magique des armures, aux harnachements constellés de pier- leries, aux dorures des palanquins sculptés et incrustés de nacre, d'ivoire ou de pierres précieuses.
Un des plus grands plaisirs réser- vés aux Indiens fidèles dans le Ca- laya, qui est un de leurs cinq paradis, est de rafraîchir Ixôra, dieu qui y pré- side en agitant sans cesse devant lui de grands Eventails, Dans le chef-
d^œuvre dramatique de Kalidâça, la belle et dé- licate Sakountala, pour laquelle le roi Douch- manta s'était féru d'amour, porte dans ses pro- menades à travers bois un Éventail de feuilles de lotus : « Chère Sakountala, lui disent deux compagnes occupées à Péventer avec tendresse, ce vent de feuilles de lotus te fait-il plaisir? — Mes amies, répond languissamment la fille de la nymphe Mênahâ, à quoi sert de m'éventer? »
De toutes parts, en un mot, où se portent nos souvenirs littéraires, dans les Indes galantes que tant d'écrivains ont chantées avec Fémerveille- ment des beautés entrevues, nous retrouvons cet Éventail comme un symbole éternel et charmant de la femme et de la divinité.
Avant de quitter l'Inde, il nous faut cependant parler de ces grands cadres recouverts d'étoffe ou de mousseline, sortes de paravents mobiles, ventilateurs suspendus au plafond des demeures, et nommés pânkliâs, que des pânk''hâ-berdar, serviteurs spéciaux, agitent sans cesse pour ra- fraîchir l'air des appartements, pendant le som- meil ou la sieste des riches habitants, et leur pro- curent cette aération intense qui faisait écrire à Guez de Balzac, au xvn" siècle, cette note curieuse qui nous indique que déjà sous Louis XIII ces éolies étaient employées : « J'ai un Éventail qui fait un vent dans ma chambre qui ferait des naufrages en pleine mer. «
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Mais arrivons à la Chine et au Japon, cette f patrie de TÉventail, par un de ces coq-à-Fâne X ethnologiques et ethnographiques auxquels nous ^;;';| condamne cette histoire hâtive du petit instru- ^ ment chéri des dames. Selon M. Blondel et d'après
une pièce de vers du poète Lo-ki, Pinvention des ;'i^^i#%l
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d''après un passage de Feï-ki-yu-lin, servaient à M^l
la guerre d'étendard ou de signe de rallie- ./^^
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ses trois corps d'armée en tenant un éventail de Cj\
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faits, il est certain, en feuilles de bambou ou ^
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petites pour se prêter au tissu le plus délicat. ' ' /!
Les premiers écrans chinois eurent d'abord \ la forme carrée, puis ils prirent l'apparence de larges feuilles de nénuphar. Les Éventails en bambou remontent à l'empereur Houan-ti, de la dynastie des Han (147 à 167 de Jésus-Christ);
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un ou deux- siècles après, onlesretrou-4J\
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Tsin, et le Li-tchao-han lin-îchî nous apprend que
Pempereur donnait aux membres de TAcadémie im- périale, le cinquième jour du cinquième mois, un grand e'cran rond de bambou sculpté et peint en bleu.
Il nous faudrait des pages et une surabondance de détails technologiques pour aborder ici Thistoire spéciale de TEventail, en Chine et au Japon, depuis récran à feuilles planes et à feuilles non planes, TÉ- ventail plissé en cocarde, l'Eventail à gouttière, dont la feuille ne peut recevoir son complet développe- ment, jusqu'à l'analyse des tissus, des plumages et des bois employés pour la confection de tous ces objets d'art. Ce seraient des dissertations infinies sur l'Éventail primitif et l'écran plissé, sur les replis , par glissement, des lamelles de la feuille, sur le sys- tème indou, byzantin ou chinois proprement dit; ce sont là études arides qui méritent l'intérêt des anti- quaires, mais dont nous nous sauvons par respect
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aussi bien qu'en Chine, TÉventail fait partie inté- grante du costume et semble servir à tous les usages ; on le manie familièrement en signe de salu- tation; plié et étendu, il devient un signe de com- mandement. « Les élégants qui n'ont ni cannes ni cravaches, dit M. Achille PoLissielgue dan tion du Vqrage en Chine de M. de^.^îboul65:;iI agitent leur Éventail avec prétentionW-seJônnànt
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des airs suffisants; les évolutions que les jeunes filles font faire au leur forment un langage muet, mais significatif; les mères s'en servent pour endor- mir leurs enfants au berceau; les maîtres pour frap- per les écoliers récalcitrants ; les promeneurs pour écarter les moustiques qui les poursuivent; les ou- vriers, qui portent le leur dans le collet de leur tunique, s'éventent d'une main et travaillent de l'autre; les soldats manient l'Éventail sous le feu d^4 l'ennemi avec une placidité inconcevable. Il y a deït^ éventails de deux formes, ouverts ou plia'nts : lej premiers sont formés de lames d'ivoire ou de papier; ils servent d'albums autographes, et c'est sur un Eventail en papier blanc qu'un Chinois prie son ami de tracer une sentence, A des caractères 'ou un dessin qui puissent "^WS. lui rappeler son souvenir. /\ Ces albums-
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Éventails sur lesquels sont apposés les sceaux d^hommes illustres ou de grands personnages acquièrent une grande valeur. »
On ferait un curieux opuscule avec Phistoire analytique et pittoresque de TÉventail en Chine et au Japon, en appelant à soi la poésie, les allégories mythologiques, les romans et comé- dies de caractère de la littérature asiatique, en mettant en relief des légendes comme celles qui placent TÉventail dans la main de Tossito-ku, dieu de la prospérité au Japon, ou en reprodui- sant des petits poèmes comme le Chant d'Au- tomne du poète Thou-foii, qui voit s''agiter dans ses rêves « des Éventails en plumes de faisan, pareils à de légers nuages ». Il y aurait là le comique, le poétique, le dramatique et même l'héroïque ; car le lourd Éventail de commande- ment en fer ciselé trouverait place dans quelque grande et belle épopée analogue à nos remar- quables romans de chevalerie du moyen âge.
Dans cet opuscule, il serait question des galants présents semblables à celui que, dans la période Chun-hi des Soung (1174 à 1190), l'empereur fit à Timpératrice de Chine, sous la forme de quatre écrans de jade blanc, dont les manches étaient d'ambre odoriférant. Il serait question aussi de ces artistes merveilleux de l'an- cienne Chine, au commencement de l'ère chré-
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tienne, de ce Chi-ki-long, lequel avait acquis une l/jj^^f/.Mi brillante réputation dans la fabric'ation des e'crans'^ appelés Kin-'£0-moii-nan, et qui battait Tor en lames minces comme des ailes de cigale, les appliquait sur les deux faces de Técran, les ver- nissait, y peignait des oiseaux extraordinaires et des animaux rares et collait sur le tout de déli- cates feuilles transparentes de mica.
On pourrait enfin s'étendre, dans cette histoire spéciale de l'Éventail en Chine et au Japon, sur les différents genres d'éventails plissés et d'écrans à la main, sur ceux faits de laque ou de plumes peintes, sur les Eventails brisés de filigrane d'ar- gent, de sandal, de nacre, d'ivoire, sur les écrans de queues de faisans argus, sur ceux de marce- line brodée et sur toutes les merveilles de l'in- dustrie asiatique moderne dont M. Natalis Ron- dot a été le savant et ingénieux analyste lors de notre Exposition de i85i.
Si nous revenons maintenant brusquement aux peuples de l'ancienne Egypte, nous retrou- vons lepediim ou le/Iabellum; mais nous conve- nons, avec un écrivain allemand, qu'un rabbin serait plus à niême que nous de décider avec certitude, à l'aide de sa Mischna, si ce bouquet de papyrus ( Cyper us papyrus ) était réellement entre les mains de l'aimable fille de Pharaon, lorsque, se promenant sur les bords du Nil,
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elle trouva le petit Hébreu Moïse dans une corbeille de jonc.
Le regretté Mariette bey avait trouvé à Abydos une stèle funéraire qui figure au- )ourd''hui au musée de Boulaq, laquelle représentait Osiris assis sur son trône ayant derrière lui un fla bellifère du roi nommé Tiou et sa femme Rojr qui' lui rend hommage prosternée à ses pieds.
La. divine et voluptueuse Cléopâtre, cette fille des rois et des dieux, élevée par les prêtresses d^Isis et initiée aux mystères par les mages de Memnon çt" d'Osiris, cette maîtresse de Marcus Antonius, beiie^ comme Diane, souple comme une Néréide , plus'" embrasée du feu amour qu'une Thyade fougU|Use, ne dédaignait pas, lorsqu''elle se ruait aux bras de quelque amant, soit le Nubien Pharam mi-s-'TO. scène par Jules de Saint-Félix, soit ce A4éiamoun, fils de Mandonschopsch, si bien campé dans une Nouvelle célèbre de Gautier, Cléopâtre ne dédaignait pas, dans ces nuits d''orgie, de se faire éventer par des esclaves favorites munies d'écrans ou de plumes d'ibis im- prégnées de senteurs, pendant que sur les trépieds fumaient lentement le baume de Judée, Piris en poudre odorante et l'encens de Mèdes, et que les urnes de vin de Syrie étaient prêtes pour les liba- tions favorables aux amants.
Dans la cosmogonie égyptienne, raconte M. Blon- del, l'Éventail était l'emblème du bonheur et du repos céleste; on s'explique alors pour quelle raison, dans les triomphes, les chars ou palanquins sont
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représentés environnés d'Éventails ou de rameaux fleuris. Un grand nombre de monuments indiquent en quoi consistaient la forme et Tornementation de ces fiahella. Citons d'abord les peintures murales de Beni-Hassan, où une femme debout agite un éventail carré derrière une harpiste. Les fresques du palais de Medinet-Abou à Thèbes montrent également le Pharaon Rhamsès III, dit le Grand(i235 avant notre ère), dont
l'entourage porte d'élégants écrans
de forme demi-circulaire peints de
couleurs brillantes , admirable-
-ment disposées, moins ornés ce-
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pendant que ceux représentant le
triomphe du roi
Horus ( r557
ans avant
Jésus-Christ) où Ton voit deux porte-éventails qui rafraîchissent le roi avec deux flabella à long manche tors ou versicolore. Cet Eventail alors tenait lieu d'étendard et n'était porté que par des princes royaux ou des dignitaires d'une bravoure éprouvée qui avaient rang de géné- raux.
Dans le Roman de la Momie, Théophile Gau- tier, ce merveilleux évocateur de l'Egypte an- cienne, représente le Pharaon sur son trône d'or entouré de ses oëris et de ses flabellifères dans une salle énorme, sur un fond de peintures re- présentant les hauts faits de ses aïeux et les siens. D'autre part, de belles esclaves nues, dont le corps svelte offre le gracieux passage de l'enfance à l'adolescence, les hanches cerclées d'une mince ceinture, une buire d'albâtre à la main, s'empressent autour du même Pharaon, répandant l'huile de palme sur ses épaules, ses bras et son torse polis comme le jaspe, tandis que d'autres servantes agitent autour de sa tête de larges Eventails de plumes d'autruche peintes, ajustées à des manches d'ivoire ou de bois de santal qui , échauffé par leurs petites mains, dégagent une odeur délicieuse.
Nous voyons encore l'Eventail chez les Assy- riens, les Mèdes et les Perses, où il affecte la forme carrée et quelquefois le demi-cercle; mais c'est surtout à Rome, dans la Rome du siècle
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d'Auguste, que nous aimons à apercevoir l'Éven- tail sur la voie Appienne, en dehors de la porte Gapène, dans le bruit des chars et des litières portées à dos de six ou huit lecticaires, près de l'équipage majestueux d'une matrone accom- pagnée de deux esclaves : l'une, la suivante, portant un parasol de toile tendue par de larges bâtons ; l'autre, la porteuse d'Eventail (flabelli- fera) , tenant une espèce de palme ou plume de paon qu'elle agite devant la dame afin de lui procurer de la fraîcheur et d'écarter les mouches importunes, tandis que quatre coureurs noirs indiens ou africains précèdent la litière et que deux liburniens blancs marchent derrière la chaise, manière de valets de pied, prêts, au moindre signal de la matrone, à placer le marche- pied qui l'aidera à descendre de son lit soyeux. Il est constant que, si les dames romaines ne maniaient pas elles-mêmes l'Eventail, l'usage leur en était connu. Le poète Nomsus en fait mention fréquente; c'était à des esclaves et aussi aux galants qu'incombait le devoir de rafraîchir les belles indolentes. Ovide, parlant des atten- tions que les jeunes gens doivent avoir pour sé- duire les femmes, recommande le maniement de l'Eventail ; on trouve, au surplus, des Eventails sur diverses pierres où ils font fonction soit d'é- carter les insectes, soit de procurer la fraîcheur aux voluptueux étendus sur des lits de repos.
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Ces dames de Tantiquité, environnées d'esclaves qui cherchaient à épargner toute espèce de mouve- ment à la noble main de leurs gracieuses maîtresses, faisaient porter à côté d'elles des Éventails, et se garantissaient ainsi de l'ardeur du saleil par le secours de filles esclaves spécialement destinées à ce minis- tère et auxquelles Plante avait déjà donné le nom particulier de flahelliferœ cité plus haut. On avait même de petites corbeilles exprès, dans lesquelles les esclaves portaient, pour ainsi dire, ces Éventails en parade, tant qu'on n'en faisait pas usage.
Les Latins se servaient aussi de l'Éventail de plumes ou de l'écran pour entretenir ou activer le feu dans les sacrifices, et l'on retrouve sur plusieurs vases antiques des Vestales assises près de l'autel, un éventoir à la main, dans une pose alanguie et rêveuse qui évoque l'idée de flammes intérieures q^u'attisent seules les flèches du petit dieu Cupidon, plutôt que les chastes ardeurs des mystères sacrés auxquelles étaient condamnées les gardiennes du Palladium.
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Quelques poètes
grecs ont comparé
rÉventail à Zéphyr ou
à Éole, dieu des vents,
lorsqu''ils montrent, sous les vertes ramures" des filles de Lesbos se ^' kl baignant au crépuscule ^ ^c des jours chauds, puis, au sortir de Ponde, nues sur les rives agitant près de leur sein une branche de feuillage de myrte avec la grâce d'une impudeur qui s'ignore. Athénée, Eubule, Hésychius, Ménandre, Lucien, tous les pornographes grecs, Barthélémy, dans le Voyage du jeune Anacharsis , et le savant Pauw, dans ses Recherches sur les Grecs, mentionnent TÉventail qui était alors fait de pluriies d'oiseaux placées sur une longue tige de bois en forme de lotus et partant d'un centre commun autour duquel elles rayonnent.
Des branches de myrte, d'acacia et les superbes feuilles trois fois dentelées du platane des pays orien- taux furent aussi sans contredit les Eventails et les
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chasse-mouches les plus usités de Tancienne Grèce, ainsi que le remarque Boettiger, et ceux dont on se servit dans le principe. On a même tout lieu de croire que les thyrses, si voluptueu- sement entourés de lierre et de pampre, et que nous voyons si fréquemment sur les monuments anciens entre les mains des bacchantes et des autres compagnons du dieu des vendanges , outre la destination solennelle qu^ils avaient dans les fêtes et les processions de Bacchus, avaient encore l'avantage accidentel de procurer de la fraîcheur et de Tombrage à ses adorateurs échauffés par la course et les divertissements. On ne tarda pas à imiter artistement les feuilles naturelles des arbres. On trouve ces éventails souvent sur les bas-reliefs artistiques des an- ciens monuments, auxquels quelques inter- prètes ont donné des significations fort extraor- dinaires. Nous les trouvons, par exemple, dans Montfaucon , sur les tableaux des Noces aldo- h'aiîdines, et sur une pierre gravée de la collec- tion du duc d'Orléans, avec les paons qui ne furent connus dans la Grèce proprement dite que vers le v siècle avant Jésus-Christ. Les dames grecques reçurent la queue de paon , comme une nouvelle et brillante espèce d'É- ventail, des habitants des côtes de l'Asie Mineure, qui aimaient le luxe et la magnificence , et surtout de la Phrygie. Un eunuque phrygien
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raconte, dans une des tragédies qui nous restent d'Euripide, que, suivant la mode de la Phrygie, il avait rafraîchi les boucles et les joues d'Hélène avec une queue garnie de plumes tout autour, et ces queues de paon reviennent si souvent dans les auteurs postérieurs grecs et romains, qu'il en est presque toujours fait mention quand il est parlé de la parure des femmes.
Il paraît cependant que de toutes les espèces d'Éventails de l'antiquité, ceux qui étaient com- posés de plumes de paon entrelacées et placées ^ les unes sur les autres, formant un bouquet rond ou un demi-cercle peu épais, furent les plus fréquents et les plus longtemps en usage. C'est sur les ailes de ces Eventails que nous revenons à l'orient occidental, chez les peuples arabes qui n'adoptèrent guère l'éventoir proprement dit que vers les premiers siècles de notre ère chré- tienne.
Un très ancien poète arabe, Farazdak, a laissé la poésie suivante, citée par M. Blondel :
« La charmante jeune fille, qui repose sous une tente agitée par la brise, est semblable à la tendre gazelle ou à la perle, objet des vœux du plongeur; lorsqu'elle avance, on dirait d'une nuée éclatante.
« Combien sa taille svelte est plus agréable à mes yeux que l'embonpoint massif de cette femme qui nage dans sa transpiration, aussitôt
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que les Eventails ont cessé de rafraîchir Pair autour d'elle ! »
Dans la 25/^ nuit des Mille et une Nuits, le Dormeur éveillé, Abou-Hassan, se croyant le com- mandeur des Croyants , entre dans une salle à manger splendide et s''accroupit sur des carreaux pour demander des rafraîchissements. Aussitôt sept jeunes filles idéalement belles s''empressent, avec des éventails, autour du nouveau kalife et lui déclarent, à tour de rôle, se nommer: Cou d'albâtre, B,ouche de corail, Eclat du soleil. Face de lune. Délices du cœur. Plaisir. ^ës yeux et Canne de sucre, X^nài^
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qu'elles agitent au-dessus de sa tête, ,Mvec des mouvements de corps ■ charmants , des plume^p d'auu;û.çhe ou de paon et,.;<ies-^", -^CâBÉSJ^'de sparterie. Dans/uiî autre conte fantaisiste et viër- "^
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père de sauver son petit royaume menacé par ses en- ^^. ncmis, lorsqu'un génie cha- ritable lui apprend que is la contrée des , ":,
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- 37 - Grottes bleues se trouve, sous la garde d^ine vieille fée cruelle, un Éventail enchanté fait entièrement de plumes de phénix, au milieu duquel brille un éclatant soleil de pierres précieuses, et que, ajoute le Génie, sUl parvient à posséder cet éventail magi- que, qui a souvent décidé du sort des batailles aux époques barbares de ses aïeux, la victoire lui re- viendra soudain puissante et certaine. Le prince africain, à cette nouvelle, met tous ses guerriers en campagne, avec la crédulité des rois de féerie et le joli conte bleu nous conduit, au travers des aven- tures les plus merveilleuses, pour nous montrer, au dernier chapitre, le fameux Éventail conquis, ap- porté par la fille d'un prince du royaume voisin, que le fortuné monarque, désormais glorieux, ac- cueille avec apparat dans sa salle du trône, pour lui offrir, en manière de dénouement et en gage de re- 'j/ connaissance, sa main, ses trésors et son cœur. Toute Tantiquité nous offre des exemples de remploi de l'Éventail : Héliogabale, ce Sar- , danapale romain, fils de Caraealla, et qui fut / un si grand raffiné de luxe qu'il fit venir à Rome, par un chemin couvert de poussière d'or, la pierre noire d'E- mère (qui représentait le Dieu du ^Soleil) sur un char à six che- >yaux blancs, pour la y/'f cer dans un temple^
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— 38 — magnifique construit sur le Palatin; Hélioga- bale, qui avait conservé les traditions d'Orient, ne se servait d'ordinaire, en guise de sceptre, que d'un Eventail éclatant orné de pierreries , de feuilles d'or et de plumes peintes avec un art infini.
Dans un manuscrit du British Muséum {additional ms. Brit. Mus., ig352), dans une sorte de psautier grec rarissime, qu'il nous a été permis de voir récemment à Londres, nous ^ŒJ^î avons trouvé, sur une exquise miniature, l'image de David endormi qu'un ange évente avec un long Jlambellum bizarre.
Les rois de Perse faisaient porter en cam- pagne un feu qu'ils appelaient le feu sacré. Ce feu était porté sur un magnifique chariot traîné par quatre chevaux blancs et suivi de trois cent soixante-cinq jeunes hommes vêtus de Jaune. Il n'était pas permis d'y jeter quelque chose d'im- pur, et on le respectait de telle sorte que, n'osant le souffler avec l'haleine, on ne l'allumait qu'avec un Éventail.
Les anciens iconologues enfin, pour ter- miner ces digressions, donnent au mois d'août, entre autres attributs, une espèce d'Eventail fait de queues de paon. — Sur un tableau des antiquités d'Herculanum, on voit un jeune homme portant une de ces queues de paon; et
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— ag — dans les figures des douze mois, telles que le docte bibliothécaire Lambécin nous les a don- nées d'après un vieux calendrier, on voit égale- .nent une de ces queues de paon suspendue à côté du génie du mois d'août. Ces Éventails en queue de paon étaient très recherchés à Rome, Il faut, dit Properce, des Éventails semblables à la superbe queue de paon et Tertullien, dans son Traité du Manteau, fait ainsi la description du plumage dePoiseau de Junon : « La plume tient lieu d'habit au paon et même de Thabit le plus riche. Que dis-Je! la pourpre de son cou est plus éclatante que celle des plus rares coquillages, Por de son dos est plus éblouissant que tous les astres du monde, sa queue balaye la terre plus pompeusement que la plus longue simarre; mé- lange d'un nombre infini de couleurs, nuancée, chatoyante, sa parure, qui n'est jamais la même, semble toujours différente, quoiqu'elle soit tou- jours la même quand elle paraît différente, enfin elle change autant de fois qu'elle se remue. »
Dans les peintures étrusques, surtout sur les vases antiques, les Éventails apparaissent en grand nombre et affectent de très nombreuses et cu- rieuses formes ; ils sont cependant toujours composés d'un manche et d'une partie plate, comme nos écrans japonais modernes. On en trouvera plusieurs sur les poteries italo-grecques
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Chypre et de nard, en laissant s^agiter sur son visage une de ces tabellœ, sorte d^Éventail con- struit à Taide de petites planchettes de bois pré- cieux ou d^ivoire très mince.
C'est de ces tabellœ que parle Ovide dans son élégie des Jeux du cirque, troisième livre de ses Amours, lorsqu''il s'écrie : «Veux-tu qu'un zéphyr agréable vienne caresser ton visage? voici ma tablette qui te procurera ce plaisir par le mouvement que je lui donnerai, à moins que la flamme qui t'embrase ne soit alimentée par mon amour plutôt que par la chaleur du jour, au- quel cas elle ne peut s'éteindre que dans notre propre feu et nos plaisirs mutuels. »
Nous abandonnons enfin l'antiquité indienne, chinoise, grecque et latine pour aborder le moyen âge, et sans nous inquiéter, comme l'ont pré- tendu certains archéologues, si l'introduction réelle de TÉventail en Europe fut faite vers le xvi^ siècle par les Portugais de Goa, constatons que l'Église chrétienne avait fait de l'Eventail un instrument du culte en lui donnant, selon saint Jérôme, un sens mystérieux de continence, dont nous ne rechercherons pas l'origine, et re- marquons que l'apôtre saint Jacques, d'après les cérémonies et coutumes religieuses (1723, t. I", p. 68), recommande l'usage de l'Éventail sacré dans sa liturgie.
Sans aucun doute les Croisés et les pèlerins.
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de retour du Levant, en répandirent Pusage de toutes manières et ce serait un point historique très intéressant à développer. Le flabellum est resté, quoi qu'il en soit, un des principaux insi- gnes de la papauté et servit au saint sacrifice, pour préserver Fofficiant des mouches et des rayons du soleil jusqu'à la fin du xni« siècle. Moreri, dans son Dictionnaire (édit. de 17 5g), relate que, dans la célèbre abbaye de Saint- Philibert de Tournus et dans le monastère de Prouisse de l'ordre de Saint- Dominique (ix* siècle), on voyait un singulier Eventail dont les diacres se servaient autrefois pour empêcher les mouches de tomber dans le calice; Durant en parle dans son livre De ritibiis ecclesiasticis et assure que deux diacres le tenaient de chaque côté de l'autel. Cet Éventail avait, paraît-il, une forme ronde, à peu près semblable à l'Eventail connu de nos Jours comme type à cocarde, à cette différence près qu'il présentait plus d'éten- due et que le manche était de beaucoup plus haut. Autour de celui que l'on conserve dans l'abbaye de Tournus et qui a été exposé au Musée de l'histoire du travail à l'Exposition de 1867, on lit en gros caractères de chaque côté une longue inscription latine dont nous ferons grâce au lec- teur. Autour de l'Éventail, au-dessus de l'in- scription, sont représentés les saints dont voici les noms : Sancta Liicia, Sancta Agnes, Sancta
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du ix» siècle, au milieu de rinceaux de feuil- ^^' ' lages byzantins entremê- lés de monstres et d''ani- maux, est une pièce uni- , que par sa rareté, dont Ma- f.billon, le père Martenne, le ) chanoine Juenin et M. du Sommerard dans les Arts ~€tu moyen âge ont longue- nient parlé avec enthou- siasme et qui restera aussi célèbre que le fameux Even- tail de la reine Théodelinde vi^ siècle), conservé dans le trésor du roi Monza et dont M. Barbier de Montaud, prêtre do- minicain, a donné la description.
Une forme d^Éventail intéressante est celle qui se retrouve vers 1430 en Espagne ; c'est une sorte d'abanico rond, soit en paille de riz, soit garni de plumes. On pourrait croire que c'est munies de cet écran coquet que les belles Espagnoles du xv*-' siècle applaudissaient aux toros l'élégant chulo moulé dans
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— 4b — des vêtements collants délicieux de ton, le ban- derillo, l'Espada et tous les gracieux tot-eros du temps ; lesquels portaient également parfois rÉventail comme pour mieux se jouer des fu- reurs de la bête indomptée.
Comme souvenir à cette époque chevaleres- que, on peut évoquer le roman de VAmadis des Gaules, où il est dit (livre IV) qu'ApoUidon avait non seulement embelli ses jardins de tout ce que TEurope avait produit de plus agréable et de plus rare , mais qu'il avait dépouillé Tîle de Sérendib et la presqu'île de l'Inde de tout ce qu'elle avait de plus précieux. Le Phé- nix, attiré par les parfums qui s'exhalaient de l'île ferme, s'était assez longtemps arrêté dans cette île pour y changer de plumage.
Apollidon avait mis ses soins à recueillir les superbes plumes pourpres et dorées qui cou- vrent ses ailes et en avait fait faire un Eventail relié par un diamant et une escarboucle. Cet Éventail préservait celle qui s'en servait de toute espèce de venin ; ce fut le premier présent qu'Oriane reçut d'Amadis, au moment de son arrivée dans l'île ferme.
En Italie, aux xi« et xii^ siècles, remarque M. Natalis Rondot, on portait des Eventails de plumes en touffe du genre de celui qui figure dans le portrait que Van Dyck fit de Maria Luisa de Tassis ; ces Eventails avaient des manches
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d ivoire ou même d'or, ires ornés et quelquefois enrichis de pierreries. « On employait des plumes d'autruche, de paon, de corbeau des Indes, de oerroquet et d'autres oiseaux de plumage écla- tant. Les dames attachaient ces Éventails à une petite chaîne accrochée à la grosse chaîne d'or qui leur servait de ceinture», mode qui dura longtemps après.
Nous devons remarquer que V Esmoiichoir était déjà en usage en France au xiir siècle. On trouve des preuves de son emploi dans la vie privée au xiv siècle. La comtesse Mahaut d'Ar- tois avait un FJsmouchoir à manche d'argent et la reine Clémence un « Esmouchoir de soye broudé». Sur l'Inventaire du roi Charles V(i38o) on trouve un «Esmouchoir rond qui se ployé, en yvoire, aux armes de France et de Navarre, à un manche d'ybenus ». Ces Esmouchoirs étaient formés de lamelles d'ivoire minces et mobiles.
Il est digne de faire mention de ce fait que Rabelais écrit le mot Esventoir et Esventador pour porteur d'Esventoir, tandis que Brantôme est peut-être le premier qui se soit servi du mot Eventail lorsqu'il parle, dans ses Mémoires, de l'Eventail dont la reine Marguerite fit présent à la reine Louise de Lorraine pour ses étrennes, et qu'il représente cet Éventail comme étant fait de nacre, de perles, et si beau et si riche
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-48- « qu'on disoit être un chef-d'œuvre, et Testimoit plus de 1,200 écus».
C'est Catherine de Médicis qui mit en vogue, en France, les Eventails italiens entourés de plumes, que tous les parfumeurs qu'elle avait amenés à sa suite fabriquaient et vendaient aux dames et à tous les jeunes seigneurs de la cour.
Quelques dessins du temps représentent la reine mère recevant de façon altière les saluts de ses cour- tisans, tandis que d'une main elle agite sur sa gor- gerette un grand Eventail plissé. L'Éventail nous semble avoir eu, à ses yeux, un charme tout particulier, car Brantôme nous apprend encore dans ses Mémoires qu''a- près la mort du roi son mari, la fastueuse Florentine avait fait mettre autour de sa devise des miroirs cassés, des Éventails et des panaches rompus... «le tout, ajoute le gaudrioliste et piquant historiographe «des Dames galantes, en signe manifeste de quitter toutes bombances mondaines ».
Henri Estienne, dans ses * v^ ,>
Deux dialogues du nouveau langage français, italianisme et autrement déguisé, ne manque pas de dire également : __, «Nos dames '^^ françoises doivent
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— 49 — aux dames italiennes cette • invention d'Éventails ; les Italiennes la doyvent aux anciennes Romaines; ces dames de Rome la devoyent aux dames de. ,. - . Grèce...., plusieurs dames les ayment tant, ;:ii!^^'^i<^_^.r:0^s^ inue-t-il, de la façon qu'elles les font fe-^^^-i^-fe^l .
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leur du soleil, les font servir Thyver contre ^'^^^^^S^-j^^^ff^-l'' la chaleur du feu. «
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Le roi Henri III, ce dépravé et cet i^- '^
efféminé qui portait des gants et des mas- ques enduits de cosmétiques et de pâtes émollientes pour adoucir la peau, sortait souvent en forêt, entouré de ses mignons, de ses pages et de ses fauconniers un Éven- w'i'\f^^, tail a la main, et il s'en servait avec des iV ;, gestes alanguis et des souplesses féminines. Pieire de l'Estoile (dans l'Isle
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— 5o — velours et de bichons qui frisottaient au-dessus des tempes, dit à ce sujet : « On mettoit à la main droite du roy un instrument qui s^estendoit et se replioit en y donnant seulement un coup de doigt, que nous appelons ici un Esventail; il estoit d'un velin aussi délicatement de'coupé qu'il estoit possible, avec de la dentelle à l'en- tour, de pareille estoffe. Il estoit assez grand, car cela devoit servir comme d'un parasol pour se conserver du hasle, et pour donner quelque rafraîchissement à ce teint délicat.... Tous ceux que je pus voir aux autres chambres en avoient un aussi de mesme estoffe, ou de taffetas avec de la dentelle d'or et d'argent tout à l'entour. »
C'est apparemment aussi de l'Éventail que Agrippa d'Aubigné entend parler sous la dési- gnation du mot parasol, lorsqu'il s'écrie dans une de ses véhémentes et superbes apostrophes des Tragiques :
Fais-toi dedans la foule une importune voye, Te monstre ardant à voir afin que l'on te voye, Lance regardz tranchants pour estre regardé, Le teint de blanc d'Espagne et de rouge fardé. Que la main, que le sein y prennent leur partage ; Couvre d'un parasol en esté ton visage. Jette (comme effrayé) en femme quelques cris, Mesprise ton effroy par un traistre sousris; Fais le bègue, le las, d'une voix molle et claire ; Ouvre ta languissante et pesante paupière;
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Sois pensif, retenu, froid, sec et finet : Voilà pour devenir garce du cabinet A la porte duquel laisse Dieu, cœur et honte. Ou je travaille en vain en te faisant ce conte.
Les Éventails, alors en usage dans ce royaume des fraises empesées et godronnées et de toutes les extravagances efféminées de la parure, étaient VÉventail à touffe de plumes, très élégant, de forme bombée et à manche de bois ou de métal précieux; l'Éventail plissé ou Eventail de Fer- rare qui affectait une forme de patte d^oie très curieuse, à poignée ronde et qui se portait à une chaîne d'or attachée à la ceinture, assez sem- blable à ces chaînes dites Jeanne d'Arc, qui furent de mode il y a quelques années; l'Even- tail Girouette enfin, ou Éventail en forme de drapeau qui était confectionné de drap d'or ou d'étoffe de soie et dont on retrouve l'aspect dans la Femme du Titien, ce chef-d'œuvre qu'on peut voir au musée de Dresde et que la gravure d'ailleurs a grandement popularisé.
C'est en Italie surtout que l'on trouve cet Éventail dans les mains de toutes les nobles dames de Florence, de Venise, de Vérone, de Naples ou de Mantoue vers la fin du xvr siècle.
C'est dans cette Italie poétique, qui fournit encore à l'imagination romantique des peintres d'Éventails modernes toutes ces jolies scènes
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d'amour ou de guet-apens, ces clairs de lune dramatiques où r onvoitGiuliettc au bras de Ro- méo, ces goua-s ches bleues ou lilas tendre sur satin, et ces camaïeux exquis que le talent des aquarellistes éparpille sur le vélin ou la faille des Even- tails qui briguent une coquette et luxueuse monture.
C'est en Italie que TEventail à girouette prlt^^ le plus de développement. Dans ce temps-là, on portait fréquemment, au lieu d'écharpes ou de ceintures, des chaînes d''or de grand prix et travaillées à jour, auxquelles les dames suspen- daient des clefs artistement ouvragées, ou d'autres jouets profanes ou sacrés.
De là vient, dit Fauteur de l'Armoire aux Even- tails, que ces bijoux eurent aussi souvent Phonneur d'être attachés sur les hanches d'une jolie femme, avec une petite chaîne attenant à celle qui ceignait le corps. C'est pourquoi il y avait à l'extrémité du manche un grand anneau. « Hommes et femmes portent des Éven- tails, écrit d'Italie le traveller Coryat; presque tous ces Éventails sont élégants et jolis. La monture se compose d'un morceau de papier peint et d'un petit manche de bois, et le papier collé dessus est des deux côtés orné d'excellentes peintures , ou de scènes d'amour avec des vers italiens écrits au-dessous. »
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Une de ces peintures d'Éventail italien, que nous avons pu remarquer dans la riche collection d'un ama- teur, représente une scène qu'on croirait puisée dans les Ragionamenti d'amore de Firenzuola ou échappée de quel- que nouvelle de Bandello, de Boccace ou de Batacchi. Ce sont des Femmes au bain qui s'esbattent sur la verdure sans se douter que l'œil curieux d'un gentilhomme énamouré les guette à travers la ramure.
« En France, remarque M. Natalis Rondot, l'usage des Eventails était de- '
venu sous Henri IV assez général pour donner lieu à une fabrication qui avait -v
acquis de l'importance. Le droit de l'exercer était revendiqué par quatre ou cinq corps de métiers, et notamment par les maîtres doreurs sur cuir, qui se fon- daient sur l'article XII de leurs statuts donnés en décembre 1594:
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enjolivez, ainsi qu''il plaira au marchand et sei- gneur de commander. »
L'Éventail apparaît dans notre poésie fran- çaise, dans Ronsard et duBartasqui parlent des Esventaiix de l'air en voulant désigner les zéphyrs rafraîchissants; mais c'est assurément chez Remy Belleau, dans la Première Journée de sa Bergerie, imprimée en 1572, que nous trouvons la plus ancienne et la plus charmante mention de l'Eventail sous forme de chanson. Il s'agit d'un berger amoureux qui surprend trois nymphes à l'ombre d'un grand orme che- velu, leur fait la révérence et leur baille trois panaches de plumes accompagnés d'un « petit escrit où estoyent ces petits vers ».
Volez, pennaches bienheureux,
Volez à ces cœurs amoureux.
Et saluez leur bonne grâce;
Puis, baisant doucement leurs mains, -
Faites tant que dedans leurs seins
Vous puissiez trouver quelque place,
Afin que si l'amour vainqueur Leur pouvoit échauffer le cueur De mesme feu dont il m'allume. Vous puissiez, pour les contenter, Gentillement les éventer Par le doux vent de votre plume.
Ne pensez ce présent nouveau Estre fait de plumes d'oiseau ; Amour, de ses plumes légères, L'a fait pour ne voler jamais,
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Laissant en vos mains désormais Toutes ses ailes prisonnières.
N'ayez donc crainte que l'amour, Qui ne vouloit faire séjour Ici comme oiseau de passage. Soit maintenant en liberté, Pour que vous teniez arresté Le vol léger de son plumage.
Mais ce n^est plus principalement dans les bois mythologiques, où Pan, le grand veneur, les satyres, sylvains, dryades, hamadryades et autres déités, si fort en honneur parmi les poètes de la Pléiade, se confondent dans des bergeries et des idylles doucereuses, que nous trouvons rÉventail cinquante ans plus tard. — Au xvif siècle, il acquiert droit de cité dans notre littérature; il se glisse non seulement dans les pastorales de PAstrée, dans la Cythérée ou le roman à'' Ariane, dans Endj^mion, Polexandre ou la Caritée, dans les petits madrigaux confits de miel, dans les pointes et les bouts-rimés, dans les dissertations des Ménage, des Balzac, des Pellisson et des Conrart, dans les épîtres de Voiture, de Scudéry et même de M™" de Sévigné; mais bien mieux, il entre triomphalement en scène à Phôtel de Rambouillet, où les Zéphirs (comme on nommait les Eventails en style pré- cieux) s'agitent sur le visage de la marquise de Rambouillet, de la belle Julie dWngennes, sa
fille ou de M"'' Paulet ; il se retrouve partout dans les Mémoires et les Anecdotes plaisantes de Talle- mant des Réaux, il s'étend enfin jusqu'à prendre une importance exceptionnelle, à compléter le jeu des acteurs et à en affirmer le langage dans les merveilleuses comédies de notre grand Molière.
Se représente-t-on les Précieuses ridicules ou les Femmes savantes sans le nécessaire spirituel qui vol- tige, assure le geste et s'identifie à l'action? — Voit-on par exemple, dans la première de ces pièces, Cathos et Madelon privées de ce joli colifichet qui se déploie si à propos en leurs mains avecle bruissement d'ailes de tourterelles effarouchées, lorsque Mascarille, mettant sans façon la main sur le bouton de son haut-de-chausses, ose s'écrier grossièrement , comme un laquais qu'il est :
Je vais vous montrer une furieuse plaie. .. !
Conçoit-on encore dans les Femmes savantes Bélise, Armande et Philaminte sans le long Even- tail du temps, lorsque les trois bas bleus du grand siècle analysent à tour de rôle, à moitié pâmées, les accablantes beautés du fameux Sonnet à la princesse Uranie sur sa fièvre ?
Votre prudence est endormie De traiter magnifiquement Et de loger superbement Votre plus cruelle ennemie.
C'est ici le triomphe du jeu de l'Eventail, et
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cette étonnante scène ii du llh acte des Femmes savantes perdrait au théâtre une bonne partie de son succès et de son entrain charmant si on en retirait les accents particuliers et piquants que donnent aux exclamations de Bélise ou de Philaminte les vol- tiges, les soubresauts, l'ampleur et la fébrilité des Eventails maniés, ouverts, fermés, abandonnés, re- pris avec Fexpression de Tenthousiasme, de Talan- guissement, de la pâmoison ou du délire le plus vif. L'Éventail est, dans celte scène terrible et hérissée de difficultés, pour une actrice ce que le balancier est à un équilibriste ; sans lui, toute assurance tombe. Un général privé de son épée de commandement serait moins embarrassé qu'une Armande sans son Éventail, et Trissotin se verrait lui-même tout pe- naud si le célèbre :
Faites-la sortir, quoi qu'on die,
n'était pas ponctué, repris par ses trois admiratrices, paraphrasé, scandé très lentement par le va-et-vient et le malicieux cli-cli des Éventails.
Le règne de l'Éventail au théâtre avait au reste commencé bien avant Molière et dans les entrées mythologiques des ballets composés spécialement pour les menus plaisirs de Sa Majesté, qui y jouait ou y dansait assez volontiers un rôle, la déesse, la nymphe ou la bergère mise en scène apparaissait, dans l'accoutrement de son costume bizarre, munie d'un long Éventail à la mode qui lui servait de
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— 58 — maintien pour les pas qu'elle avait à exécuter. Dans les comédies et tragi-comédies de la pre- mière moitié du siècle, les premiers grands rôles féminins ne craignaient pas de déployer le grand Éventail de cuir. Ainsi dans la Cléopâtre ou VIphis et lante de Benserade, dans la Marianne de Tristan PHermite, dans Cyminde ou les Deux Victimes de Colletet , Théroïne s'éventait au milieu des plus pompeuses tirades sans respect pour Parchaïsme ou la majesté des plus raboteux alexandrins.
L'histoire de l'Éventail à la scène formerait seule un curieux chapitre des modes et costumes au théâtre, car dans cet art du comédien où le geste appelle un objet quelconque, où l'attitude dépend parfois d'un accessoire, où le maintien réclame un ?~ien pour s'équilibrer et donner de l'assurance aux manières, l'Eventail s'est tou- jours trouvé être le }~ien agréable préféré des grandes comédiennes qui ont découvert toute une tactique spéciale dans les façons infinies de s'en servir.
La forme de l'Éventail au xvii^ siècle nous a été conservée par les reproductions de Saint- Igny, des frères de Bry et surtout par Callot dont la gravure de l'Éventail, dite Eventail de Callot, est si légitimement recherchée aujour- d'hui des iconophiles. Les feuilles d'Eventails étaient alors de cuir, de canepin, de frangipane
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arfumée, de papier ou de taffetas et les mon- tures étaient fabrique'es avec Tivoire, Por, Par- gent, la nacre et le bois de calambour dont Hugo, dans Ruy-Blas, a fait une rime si riche et qui parut si originale à ce vers:
A monsieur mon père l'électeur de Neubourg.
Les Eventails du xvii^ siècle au reste ne sont pas rares; on en trouve de très Jolis spe'cimens dans les collections des grands amateurs et ceux que M""* de Sévigné envoya à M'"" de Grignan sont encore pieusement conservés en Provence à régal des objets historiques.
Parmi les romans du temps, enrichis de fi- gures en taille-douce, ou de vignettes sur bois, on retrouve toujours VEventail aux mains des dames de noble lignée. Dans les illustrations de Nanteuil, de Chauveau, de Lepautre, surtout dans Tœuvre gravé de Sébastien Le Clerc, TÉven- tail est représenté comme le complément indis- pensable du costume, aussi bien dans Papparat d^une duchesse à tabouret que dans rajuste- ment plus modeste de quelque honnête bour- geoise. Tantôt fermé, tenu avec négligence, dans Fabandon du bras mi-nu, faisant valoir la déli- catesse et la blancheur de la main qui s'y allonge tantôt entr'ouvert sur le corsage, tantôt Jeté à terre ou bien encore émergeant d'une toilette de promenade, d'un fouillis de dentelles ou des
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draperies d'une large mante alors de mode.
Lorsqu''on regarde atten- tivement la belle collection de costumes du xvn" siècle de Sébastien Le Clerc, on demeure frappé de Fimportance que cet artiste, plus que tout autre, a donnée à TEventail et de la variété d'alluïTqû''ii admise dans le maintien de cet aimable indispensable.
Dans le langage des ruelles, PÉventail était surnommé le paravent de la pudeur ou l'utile Zéphyr, de même que récrari devenait la contenance utile des dames quand elles sont devant l'élément combustible. LorsquVine précieuse était assaillie par un Amilcar qui avait, comme on disait alors, «dix mille livres de rente en fonds d'esprit qu''aucun créancier ne pouvait saisir ni arrêter « , elle se renversait sur son siège et faisait passer l'expression de toutes ses sensations intérieures dans le papillonnement de son Eventail, pour montrer combien elle était pénétrée par des sentiments si joliment dictés.
Doralise ou Florelinde se rendaient-elles au cours à cet Empire des œillades, qu'on nommait aussi VEcueil des libertés, elles se gardaient fort d'oublier le précieux Eventail qui les devait si bien servir dans les rencontres des fieffés galants qui pouvaient leur conter fleurettes et leur pousser le dernier doux.
— 6i —
Cest au Cours qu'il fallait voir rÉventail, sous la Fronde, où la paille était signe de ralliement ; un fragment de la Couleur du Parti nous en fournit une idée.
« Au bout de quelques minutes, dit Phistorien auteur de ce pamphlet, nous entrâmes dans le Cours et nous vîmes au milieu de la grande allée une foule prodigieuse rassemblée en groupes , applaudissant avec enthousiasme et criant : «Vivent le roi et les princes! Point de Mazarin! » >--,'■■ Nous approchâmes; Frontenac, attaché à Made- ^'-.<^ moiselle, vint nous dire que cette joie tumul^^i,/" I ' rv tueuse était excitée par Mademoiselle, qui se pro- ^ \ ; -r' menait en tenant un Eventail auquel était "^v attaché un bouquet de paille noué avec un ruban i
bleu. » 'l.. ^
On voit dans ces quelques lignes la première apparition de TEventail politique, que nous re- trouverons plus tard à une période plus profon- dément troublée que celle de la Fronde, sous la grande Révolution.
Que de petits vers gracieux, d'énigmes , d'épi- grammes, de sonnets inspirés par TEventail à cette époque ! Voici d'abord le madrigal d'ufiB?''''^^^^'|^sly^ poète dameret, d'un mourant du jour, du petit abbé d'épée Mathieu de Montreuil , qui s'ex- cuse languissamment, en remettant un Eventail à une dame, de le lui avoir dérobé un instant. ^^
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J'ai pris votre Éventail, Madame,
Mais ne soyez pas en courroux; Songez à mon ardeur, considérez ma flamme, Vous verrez que j'en ai bien plus besoin que vous.
N'est-ce pas adorablement coquet et coquin?
Le Recueil de Sercy contient cette autre pièce, signée A. L. D., initiales qui ne nous ré- vèlent aucun des poètes d'alors :
Ce petit vent délicieux Qui vous rafraîchit le visage Ne fait qu'augmenter davantage Le feu qui brille dans vos yeux.
Ainsi l'espoir assez souvent. Qui flatte l'ardeur de mon âme. Ne fait qu'en augmenter la flamme, Car cet espoir n'est que du vent.
Ceci est plus quintessencié, plus enlabjy- rinthé, Sapho eût applaudi le ragoût de senti- ments qui se trouve dans ces vers; mais les dé- licats rédacteurs de la Ga:{ette du Tendre les eussent peut-être légèrement critiqués.
Voici venir l'abbé Cotin, l'infortunée victime de Boileau et de Molière, qui, dans son Recueil d'énigmes, a conservé celle-ci sur l'Éventail écran qui ne servait alors qu'en hiver.
On embellit mon corps pour l'exposer aux flàmes Et souvent on le peint de diverse couleur. Mon service important augmente ma valeur, Et j'empêche Vulcain d'attenter sur les dames.
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Je suis à ton secours lorsque tu me réclames Afin de modérer l'excès de ma chaleur. Favorable aux amants, je conserve la fleur Et l'éclat des beautés qui règne sur leurs âmes.
On me tient comme un sceptre et la nuit et le jour, On me demande aux champs, à la ville, à la cour. Ce qui me fait valoir, c'est la flamme et la glace.
Quand le cruel hiver tient le monde en prison. C'est alors qu'on m'ajuste et que j'ai bonne grâce ; Mais chacun m'abandonne en la belle saison.
Pas trop mal, en vérité, pour le pauvre Tris- .so^m-Co^fn? Mais les énigmes pleuvent dru dans la Cresme des bons vei^s ou FElite des poésies du temps.
Voici une autre énigme, sonnet anonyme sur rÉventail, daté de i65g :
Je suis brave, mignon, beau, gentil et pompeux, Aimé des gens de cour, chéri des demoiselles ; Je me plais dans les mains des déesses mortelles. Qui captivent les grands et reçoivent leurs vœux.
Ces belles ne sauraient marcher un pas ou deux, Qu'il ne faille toujours que je sois avec elles. Soit pour m'entretenir de mes modes nouvelles. Soit pour leur faire part de mes soupirs venteux.
Je les baise à tous coups, à tous coups je les flatte Et presse de leur sein la rondeur délicate Que les plus favoris n'oseraient pas toucher.
Mais ce qui me plaît mieux, et que je ne puis faire. Je puis à mon plaisir leur devant émoucher Sa ns que pas un me puisse empêcher de le faire.
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- 64 - Tous ces madrigaux, qu^on peut cueillir à l'infini dans les petits sentiers fleuris des Pâmasses du temps, indiquent que PEventail fut tou- jours mêlé aux choses de Tamour et de la. galanterie et qu''à la Jeune cour de Louis XIV, il servait aussi bien de prétexte aux tendres déclarations qu'il pouvait parer à Tefîet des trop brus- ques aveux.
Dans les premières amours du roi avec M"° de Mancini, amours exquises et pures à Paurore du grand règne, un anecdotier nous représente la véritable Scène de chasse^ depuis mise au théâtre par d'habiles faiseurs; les deux amou- reux se sont égarés comme deux tourterelles sous la ramée et che- vauchent côte à côte dans un joli taillis tout joyeux d'un gazouillis d'oiseaux. La nièce de Mazarin, rêveuse, met au pas sa blanche ha- quenée et le jeune prince la com- plimente doucement de sa grâce à tenir d'une main son Eventail et <^e5 brides soyeuses.
Cette version, si différente de celle qui nous montre l'entrevue sous un orme séculier pendant un oi âge, mérite d'être consignée. Ici l'Eventail joue encore son rôle historique ; l'amour incertain, ne sachant sur quel sujet pronon- cer les premiers murmures , a choisi l'Éventail comme un oiseau inquiet qui se pose sur la première pe- ^te branche qu'il trouve à sa portée.
On commençait *^ '' alors, dans Tindustrie des *
Eventaillistes, à peindre sur des feuilles d'étoffe ou de soie des fleurs, des oiseaux, des paysages, des scènes mythologiques, tout ce que Part décoratif pouvait puiser dans le domaine des grâces et des amours. — En 1678, quelques doreurs s'étant adjoint des ouvriers exerçant la profession d'éven- taillistes, demandèrent et obtinrent du roi d'être érigés en communauté particulière, sous le titre de Maîtres eventaillistes, par lettres patentes des i5 jan- vier et i5 février de cette même année 1678.
D'Alembert prête à la reine Christine de Suède une saillie brutale qui n'avait pas peu contribué, paraît-il, à remettre les Eventails en grande vogue à la cour pendant toutes les saisons. Dans ses Ré- Jlexions et Anecdotes sur la reine de Suède, il raconte que, durant son séjour à la cour vers i656, plusieurs dames de haut rang, ignorant l'antipathie profonde que la fille de Gustave-Adolphe avait pour tous les procédés et usages féminins, la consultèrent pour savoir si la coutume de porter l'Éventail devait être adoptée aussi bien en hiver qu'en été : « Je ne crois pas, aurait répondu rudement Christine; vous êtes déjà assez éventées sans cela. »
C'était une injure dont les femmes du xvii« siècle voulurent se venger, et de là viendrait cette fureur
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— Go- de porter des éventails en toutes saisons qui subsiste encore aujourd'hui. Cette brusque S repartie de Christine rappelle à la me'moire une seconde anecdote qui montre le ridicule mépris de cette reine pour la coquetterie de FÉventail.
Lorsque Michel Dahl, peintre suédois, fit à Rome le portrait de l'altière souveraine, il lui proposa respectueusement de lui faire tenir en main un Eventail. A ce mot Christine bondit : a Qu'est-ce à dire? s'écria-t-elle, un Eventail ! Jamais! donnez-moi un lion: c'est le seul attri- but qui convienne à une reine telle que moi. » Dans les Métamorphoses françoises, nous cueil- lons ce joli sonnet, qui indique assez par son esprit que l'Éventail fut alors synonyme d'in- constance et de légèreté :
Ce léger Eventail fut un jeune inconstant Assez favorisé de toutes ses maîtresses, Mais parce que son feu ne durait qu'un instant, Il n'en eut que du vent après mille promesses.
Tantôt il se resserre et tantôt il s'étend,
Il use de scrupule, il use de finesse;
Et puis, dès que l'amour le veut rendre content,
Il devient insensible à toutes ses caresses.
Il avance lui-même et détruit son travail, Enfin cet éventé sa change en éventail Et sa légèreté paraît toujours extrême.
Chaque dame a sur lui son pouvoir essayé ; Mais il fait pour autrui ce qu'il fit pour lui-même Et paye avec du vent comme il en fut payé.
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-67- Les Éventails étaient très variés; les montures se faisaient d^voire, d'écaillé ou de nacre sculp- tée, jusqu'à produire les dentelles les plus fines. On peignait les feuilles à la gouache sur satin ou vélin, et on usait beaucoup des peaux de senteur qui provenaient généralement des parfumeries de Grasse. C'est ainsi que M^'^ de Montpensier, dans ses Mémoires, cite ce fait caractéristique qui rappelle les terribles douleurs et le mal dé- vorant de la reine Anne d'Autriche :
« Quoique la reine mère tînt toujours dans ses mains un Éventail de peau d'Espagne par- fumée, cela n'empêchait pas que l'on sentît sa plaie. »
Il y avait encore, en dehors des peaux de senteur, les Éventails à plumes et les Éventails- lorgnettes, au travers desquels les prudes plon- geaient un regard indiscret, s'il faut en croire cette note du Ménagiana :
« Les Éventails à jour que les femmes portent quand elles vont à la porte Saint-Bernard pour prendre le frais sur le bord de la rivière, et par occasion pour voir les baigneurs, s'appellent des Lorgnettes. Ce temps de bains dans certains almanachs se nommait Ciilaison. » — (Canicule est encore préférable à ce vilain vocable.)
Au début du règne de Louis XIV, les rubans foisonnaient partout sur les robes, hauts-de-chaus- ses et tous les menus objets de la toilette.
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— 68 — L'Eventail avait également son ruban , que Ton nommait badin. Une anecdote donne à ce qualificatif du ruban de l'Eventail une origine qui remonterait au cardinal de Richelieu, dont les jeunes chats, qui l'égayaient si fort dans ses sombres préoccupations, se mirent un jour par folâtrerie à lacérer dans leurs ébats le ruban de l'Éventail d'Anne d'Autriche, alors en conférence avec le grand ministre.
Que de souvenirs laissés par l'Eventail dans les amours royales et les romans-anecdotes qui semblent déchirer les pages de l'histoire !
M"'« de Genlis, dans La Duchesse de La Vallièrè, met en scène Madame et la maîtresse du jeune roi, dans un ingénieux chapitre dont nous détacherons ce fragment : « Les deux jours suivants. Madame ne recevant que sa société particulière, M"^ de La Vallièrè ne se présenta point chez elle; mais le lendemain, jour de grand cercle, elle s'y rendit. Elle savait que le roi n'y viendrait pas, et, pour la première fois, elle se para de superbes bracelets qu'elle avait reçus de lui et que , jusqu'à ce jour, elle n'avait jamais osé porter. M"^ de La Vallièrè avait des mains et des bras d'une beauté incompara- ble, et cette éclatante parure les rendait plus remarquables en- core. Elle avait des gants, et, pour éviter tout air d'affecta- tion, elle se décida à ne les ôter qu'en se mettant
au jeu. Mais le
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-69- hasard lui en fournit une autre occasion plus naturelle. Madame, au moment où Ton arrangeait les tables de jeu, parcourait le cercle pour parler aux dames qui lui faisaient leur cour. Elle laissa tomber son Eventail, M"° de La Vallière, qui en cet instant se trouvait à deux pas d'elle, s'avance, se baisse, ôte son gant, suivant l'étiquette, afin de lui présenter TEventail qu'elle ramasse et qu'elle lui offre. La vue du magnifique bracelet dont on avait con- servé un souvenir si vif fit sur Madame une si fâcheuse impression, qu'elle ne put se résoudre à recevoir son Éven-
tail d'une telle sur M"« de La gardétincelant 1ère, en lui di- ventailsurune obéit sans s'é- Bussy-Ra- reilles anecdo- semé ses Mé- tail se joue, tenu toirede notre so
main. Elle jeta Vallière un re- de dépit et de co- sant de poser l'E- table. M"'' de La Vallière mouvoir. »
butin fourmille de pâ- tes, et Saint-Simon en a moires. Partout l'Éven- par l'amour, dans l'his- ciété polie et dans les annales de la ga-
lanterie.
Dans unetT des grandes fêtes célébrées à Marly, Louis XIV fitfhommage à la duchesse de Bourgogne d'un Eventail de m Chine, en y joignant, en aimable madi-i- galier qu'il (était, ce dizain, sans doute composé «par ordre» selon lia goût du roi:
Pour chasser ''en été les mouches fatigantes,
Pour garantir du froid quand les soleils sont courts,
Princesse, les Chinois vous offrent du secours
De leurs façons les plus galantes. Ils vous auraient v/)ulu faire d'autres présens, Pour chasser de la cour flatteurs et froids plaisans.
De leur industrie éprouvée
C'eût été la perfection.
Mais quoi ? c'est une invention
Qu'ils cherchent sans Tavoir trouvée.
Louis XIV ne connaissait pas encore la devise de
— 70 — rAcadémie de Filiponi, amateur du travail des Faenza, qui avaient mis sur la médaille de leur société une aile placée en Eventail, dont une main chasse les mouches avec cet exergue : Fugantur desides : on chasse les fainéants,
L'Eventail était aussi bien employé en An- gleterre qu'en France au xvn^ siècle, et pour re- venir en arrière, nous le voyons en usage dans ce pays dès le temps de la reine Elisabeth. Comme il était monté sur or et argent et ordinairement orné de joyaux, un Éventail était de bonne capture pour les pick-pockets dû temps; ce qui explique un passage des Merry j-pives (les Joyeuses com- mères de Windsor)^ où Falslaff dit à Pistol, son compagnon d'escroquerie : « Dame Brigitte s'étant aperçue que le manche de son Eventail lui manquait. J'ai protesté sur mon honneur que tu ne l'avais pas volé.» — Malone, l'un des plus érudits commentateurs de Skakespeare, remarque en interprétant ce passage dans les scolies de Murston que, du temps de la reine Elisabeth, un pareil Eventail se payait quelquefois jusqu'à quarante livres sterling (i,ooo francs, c'est- à-dire près de cinq mille francs de notre mon- naie actuelle.)
En 1628, parut un ouvrage intitulé: l'Eventail satyrique, fait par le nouveau Théophile , que nous avons pu lire dans les Variétés historiques et littéraires du regretté Edouard Fournier, qui
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_7i _ a songé à réimprimer cet intéressant opuscule dans ce recueil. Il n'y est aucunement question de rÉventail et nous ne citons cette plaquette que pour mémoire. La première pièce est une satire assez vive contre le luxe des femmes.
La deuxième pièce, qui est en prose, a pour titre : Apologie pour la satjrre. L'auteur s'y féli- cite d'avoir contribué pour sa part à la réforma- tion du luxe. La troisième et dernière pièce, en vers, est une consolation adressée aux dames sur la réformation des passements et habits prescrite par un édit du roi. Cette pièce est très inférieure à la première, qui a de l'énergie et un grand cynisme d'expression.
Il serait difficile de citer ces stances, d'une vigueur d'allure et d'une gaillardise qui scanda- liseraient évidemment notre époque. Ce sont là des pièces à insérer dans le superbe Parnasse saty- rique du xvn^ siècle, en compagnie des chefs- d'œuvre poétiques des Motin, des Berthelot, des Régnier, des Sigogne et de tous ces joyeux vivants que rien n'épeutre et qui désemmaillotent habilement les termes précieux pour rester vrais et puissants dans leur Mâleté d'écrivains.
Les superbes gravures d'Abraham Bosse, si précieuses pour l'histoire du costume en France au xvn" siècle, nous donnent une idée complète de la façon dont les femmes tenaient l'Éventail à la cour et au bal. Une estampe de ce célèbre
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— 72 — graveur nous présente même la Galerie du Palais où la belle société faisait mine d'acquérir ses Eventails pour donner souvent le change à de galants rendez-vous :
Icy faisant semblant d'acheter devant tous Des gants, des éventails, du ruban," des dentelles, Les adroits courtisans se donnent rendez-vous Et pour se faire aimer galantisent les belles.
Dans les dessins et portraits de Huret, de Le Blond, de Wolfgand, de Saint-Jean, de Bonnard et Trouvain, de Sandrart ou d'Arnould, nous voyons, finement gravées au burin ou esquissées à la pierre d'Italie, des dames de qualité avec des tailles en pointes, ces "fameuses tailles giiêpées du xvn" siècle, les manches courtes et les amples jupes retroussées sur de plus étroites. Toutes tiennent l'Éventail d'une main, soit fermé dans la pose du re- cueillement à l'église, soit entr'ouvert dans la réception du jour, soit étendu sur la robe falbalassée pour la prome- nade , soit simplement ouvert à la hauteur des pièces étagées de la fon- tange, soit enfin au spectacle, dans la salle des comédiens du Marais ou dans celle de l'hôtel
de Bourgogne.
Au théâtre, comme de nos jours, il vole-
fi* /f-^^r^,.! p^ ^^^^ doucement sur le ■ ' " * k' sei'n ériiu des spectatri- I ces et l'on pouvait en- tendre son joli petit it^^; ■ bruit sec, son frou- frou de soie frois- sée et le cliquetis de sa monture d'or ou d'ivoire, pen- dant qu'on allu- mait les chandelles
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et que les spectateurs apprêtaient leurs sièges avec grand fracas, aussi bien qu'au cours même de la représentation, lorsque les marquis et tous les hauts personnages encombraient les côtés du premier plan de la scène.
Que serait-on devenue sans TÉventail ? Quelle contenance tenir pour masquer sa pudeur à certains élans de gaieté gauloise ou aux saillies de quelques farces gaillardes ! Ne fallait- il pas applaudir ces adorables bouffons italiens, mar- quer la mesure des pastourelles de Lulli , brandir rÉventail aux belles tirades de Baron, et s'exclamer à demi, mettant l'Éventail fermé sur sa bouche, lorsque Montfleury entrait en scène?
Mais cependant, sur la fin du siècle, grâce à l'aus- térité de M""* de Maintenon et à ses déclamations contre le luxe féminin, l'Eventail suivit la mode, devint moins grand et se fit plus modeste. La cour du vieux roi s'encapucina de tristesse; l'Éventail n'eut plus à s'étendre sur de jolies bouches joyeusement dilatées par un bon rire de jeunesse; il sombra un moment avec la disparition des soieries et des étoffes d'or, il se fit petit pour entrer au confessionnal, et, si un galant gen- tilhomme se risquait encore à envoyer un Éventail comme présent à une dame , il ne l'accompagnait plus d'un brûlant madrigal, d'un billet tendre ou d'une dé- claration fugitive, comme au bon temps jadis ; mais il y joignait dévotement, pour se faire pardonner sa
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hardiesse, quelques strophes philosophiques et morales dans le goût de celles que voici :
S'il est vrai que de tout nous pouvons profiter, Lorsque nous avons l'âme bonne,
Vous aurez un sujet fort propre à méditer Dans l'Éventail que je vous donne.
En vous servant de lui vous penserez souvent Que ce monde n'est que du vent;
Que toutes les beautés qu'éclaire la nature, Dont l'éclat paraît si charmant.
Ne sont rien comme lui qu'une vaine peinture
Qui s'eftace dans un moment. L'Eventail de la vie est l'image accomplie : Comme elle il se déploie, et puis il se replie.
Jusqu'à ce qu'il revienne à son premier repos. Enfin il nous apprend, belle et sage Sylvie, Ce que nous devenons à la fin de la vie, N'étant plus comme lui qu'une peau sur des os.
Un Révérend eût signé ce singulier et phi- losophique madrigal. Pascal en eût félicité Jacqueline, la poétesse de sa famille: Mais qu^en eussiez-vous dit, La Vallière d'avant le repentir, gracieuse Fontange et ardente Montespan ? qu^en eussiez-vous dit, aimables coquettes de la vivante Jeunesse de Louis, sinon qu'on se mourait à de tels discours, selon les termes de votre Joli lan- gage, dans un Jeûne effroyable de divertissement.
Avec Philippe, grand duc d'Orléans, régent de France, l'aurore de nouvelles gloires se lève pour le plaisir, l'enjouement et la mutinerie féminine.
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Dans un séjour consacré par les belles,
L'ingénieux et favorable amour, Pour combler ses sujets de ses grâces nouvelles,
Vient d'établir une nouvelle cour. Là, le déguisement des aimables mortelles Est fatal aux époux, mais propice aux amants; Et la divinité qui préside sur elles Invite tous les cœurs à ses amusements.
A cette charmante Régence TEventail renaît, nous pourrions dire refleurit, plus brillant dans les mains des femmes; il y est tenu avec plus de hardiesse, plus de langueur, plus de grâce que jamais. On pourrait croire qu'on y a remplacé le ruban dit Badin par un des grelots empruntés à la jolie marotte du temps, car la folie en fait son attribut : une folie troublante et friponne, dont Eisen a personnifié l'image au milieu de ses belles vignettes, qui jettent la gaieté et appor- tent le décolleté du siècle dans une coquette édition de VEloge de la Folie d'Erasme.
La mode des Eventails se généralisa, dès la Régence, avec les raffinements du luxe et du bien- être ; il devint dès lors le compagnon absolu des femmes. Il apparut avec elles jusque dans les orgies des petits soupers et les ivresses des déjeuners sur l'herbe; il demeura à leur côté sur les sofas et lits de repos, dans le déshabillé du petit lever et dans le badinage des conver- sations galantes.
L'abbé Ruccellai, Florentin, fondateur de
Tordre des petits-maîtres -m^ et Tun de ceux qui apportèrent en France la J^^ ^^ mode des vapeurs, alla , avec un luxe que rie devaient pas dépasser plus tard les fermiers généraux Bouret et La Pope- linière, jusqu'à faire servir sur sa table, les jours où il tenait joyeuse assemblée, de grands bassins de vermeil remplis d'essences, de parfums, de gants et d'Eventails, qui demeuraient à la disposition de ses convives musqués.
Les petits Éventails, qui avaient voltigé trop longtemps sous les coiffes noires de M""' de Main- tenon, furent remplacés par des modèles plus élé- gants, mieux disposés, d'un coloris plus joyeux et de plus large envergure.
. Les Éventails des Indes et de la Chine pénétrè- rent à profusion en France, et l'art des éventaillistes parisiens acquit un goût suprême, une grâce exquise d'enjolivement et de délicatesse de travail. On em- prunta à la Chine le genre d'Éventails dits brisés, et l'on peignit sur les fragiles feuilles de vélin, sur de fins papiers ou de fines mousselines , des mer- veilles incomparables d'un faire surprenant, d'une
— -=- xonception et d'un
arrangement pres/^ j
"que toujours irréprochables. Ce sont partout des fêtes
galantes, des scènes deTOlympe J d'i/ne nuditîb quelque peu libertine, des apo- théoses azurées où les Grâces se multiplient, ou TAmour distribue des baisers. Ici, c'est Amphi- trite radieuse sur sa conque nacrée; là. Adonis se meurt sous de lascives caresses; puis vien- nent les amusants personnages de la Comédie- Italienne dans des paysages d'un vert idéal : les Mezzetins, les Colombines, les Spavento, les Léandres aux poses languissantes, qui semblent soupirer pour des Isabelles passionnées et à la fois friponnes. Ce sont encore des parties de campagne, des chasses peuplées de chasseresses, ^ des plaisirs de l'Ile enchantée, des envolées d'Amours sur des nuages roses, des enguirlande- ments de fleurs qui encadrent de délicats mé- ^ _ ,^. dallions, ou de larges cartouches rocaille représentant des rendez-vous sous bois. Regardons : voici la Leçon d'épinette, la Déclaration d'amour , ou le Billet doux remis à la dérobée : tout cela dans une fraîcheur de
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coloration, dans une finesse de touche qui écla- tent avec puissance dans les milieux pour mou- rir doucement vers les parties extrêmes de la décoration.
Sur quelques Eventails se lisaient de petits vers galants; tels ceux-ci, signés par Lebrun et que nous avons vus écrits sur vélin, parmi des mignardises enjolivées :
Carite aux dents d'ivoire, aux lèvres de corail, Aux yeux doux, au teint vM.... laissons tout cedétail; Se plaignait en été des chaleurs trop cruelles, Et pour lui servir d'éventail L'anaour lui laissa ses deux ailes.
Dans le Mercure de F}'ance d'octobre rjSo, on trouve ce détail curieux :
« Il y a des Éventails d'un prix considé- rable, qu'on porte encore excessivement grands, en sorte qu'il y a des petites personnes dont la taille n'a pas deux fois la hauteur d'un Even- tail, ce qui doit tenir en respect les jeunes ca- valiers badins et trop enjoués. »
C'est sans doute sur l'un de ces Eventails géants que Louis de Boissy, l'auteur du Babil- lard, écrivit ces vers coquets à une de ses maî- tresses :
Deviens le protecteur de ma vive tendresse,
Bel éventail, je te remets mes droits; Et si quelque rival avait la hardiesse D'approcher de trop près du sein de ma maîtresse, Bel éventail, donne-lui sur les doigts.
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— 79 — En dehors des Éventails signés par Watteau, Moreau, Lancret, Pater, Lemoine, Fragonard ou Baudoin, Gravelot, Gillot ou Eisen, en de- hors de ces merveilles de l'art, il existait des Éventails à bon marché, d'un prix de quinze à vingt deniers. La monture en était de bois in- g? crusté d'ivoire, et sur la feuille de papier grossier
on jetait pêle-mêle des fleurs, des trophées cham- pêtres, de lourds médaillons ou des cartouches qui contenaient des chansons.
Vers le milieu du siècle, il y avait à Paris cent cinquante Maîtres-Éventaillistes, et d'après un ouvrage curieux, le Journal du Citoyen, publié à La Haye en 1754, nous pouvons re- constituer à peu près le prix des Eventails à cette époque.
Les Éventails en bois d'or se payaient de 9 livres à 36 livres la douzaine; ceux en bois de palissandre ne valaient que 6 à 18 livres. Pour les Éventails en bois demi-ivoire, c'est-à-dire les maîtres brins en ivoire et la gorge en os, on devait payer jusqu'à 72 livres; pour ceux entièrement fabriqués en ivoire, 60 livres, et même de 3o à 40 pistoles la douzaine; les feuilles étaient de il peau parfumée ou de papier, et les montures se
trouvaient souvent enrichies d'or, de pierres fines et d'émaux peints.
Les Éventaillistes furent réunis aux table- tiers et aux luthiers par l'édit du 11 août 1776, et,
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— 8o — par le même édit,la peinture et le vernis relatifs à ces pro- fessions leur furent attribués en concurrence avec les peintres-sculpteurs.
Il nous faut mentionner, sans nous y étendre (car l'étude des Eventails de ce genre nous demanderait plu- sieurs pages très abstraites), le fameux vernis très fin que le peintre en voitures Martin inventa à l'usage des éventails connus sous la dénomination d'Éventails en vernis Martin, et qui , par le bril- lant et la tonalité, rivalisent avec les plus belles riaquesde la Chine et du Japon.
C'est surtout au xvni^ siècle que rÉventail rentre dans la Phy- siologie de la toilette féminine, avec la boîte à mouches, les fla- cons de senteurs, les poudres am- brées et toutes les délicates armes de la femme que les amours ap- prêtent et qu'ils distribuaient autrefois aux mignonnes petites- maîtresses à vapeurs, lorsque celles-ci recevaient à leur toi- lette du matin l'espiègle abbé porteur de madrigaux et l'au- teur à la mode, qui venaient admirer le petit air chif- fonné de la belle divine, ou sa fraî- cheur de Dévote reposée.
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Dans les salons du siècle ou Pesprit fran- çais brillait encore d'un si vif éclat, dans les hôtels de Nevers, de Bouillon ou de Sully à Paris, du château de Sceaux, chez la duchesse du Maine, dans toutes les sociétés choisies où la politesse, le bon goût et les talents se donnaient rendez-vous, TEventail déployair ses grâces entre les mains des jolies femmes. On se pâmait moins précieusement que dans le salon bleu d'Arthénice, mais on minaudait davantage, surtout lorsque ces dames formaient cercle pour entendre la lecture d'un poème ou d'un conte en vers que lisaient La Fare, Vergier, Jean-Baptiste Rousseau ou le petit abbé de Bernis, que Fariau de Saint-Ange appelait spirituellement : un poète à Éventail.
L'Éventail acquérait alors un charmant langage; il soulignait les moindres nuances et les sentiments les plus divers. Parfois même il tombait à terre en signe de dépit, lorsqu'il s'agissait de définir une énigme versifiée dont il était l'objet, telle que la sui- vante, restée la plus célèbre, croyons-nous, de toutes celles du siècle faites sur le même sujet :
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Mon corps n'est composé que de longues arêtes, Et je n'eus de tous temps que la peau sur les os. Je brille en compagnie, et sans aucun repos, Dans le fort de Tété je suis de toutes fêtes.
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Par un petit effort, je cause un doux plaisir,
Et dans plusieurs replis tout mon corps se rassemble;
Mes os par un seul nerf se tiennent tous ensemble,
Et sans les séparer on peut les désunir.
Sans avoir du serpent la prudence en partage,
Comme lui quelquefois je puis changer de peau,
Et, répandant aux yeux un nouvel étalage,
On ne me connaît plus, tant je parais nouveau.
On en donnait alors sa langue au chat', à moins qu^une petite-maîtresse ingénue ne poussât un £ûp[ixa dans un cri de joie et ne mît son Even- tail en avant comme solution au problème.
Rabener, dans ses Satyi-es, au chapitre : Moyens de découvrir à des signes extérieurs les sentiments secrets, n^a fait que donner une idée superficielle du langage des Éventails, dans ces quelques lignes que nous traduisons :
« Une femme qui critique la parure de celles de sa société a une manière particulière de jouer de rÉventail. Ce meuble prend une toute autre tournure quand celle qui le porte est offensée. Quand une femme agite son Eventail et qu'en souriant elle regarde sa main et le miroir , c'est, selon moi, une preuve qu'elle ne pense à rien, ou, ce qui est la même chose, qu'elle ne pense qu'à soi, ou enfin qu'elle attend avec impatience l'heure à laquelle elle a donné rendez-vous. Quand une femme à la promenade rencontre un de ses soupirants et qu'elle laisse tomber son
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Eventail, c'est une invitation; si elle y joint un coup d'œil, c'est une avance. Au spectacle, applau- dir en frappant sa main de son Éventail veui- dire : « Tauteur m'a fait une lecture; il m'a dit que j'étais charmante, donc sa pièce est bonne, et ceux qui ne l'applaudiront pas sont des mons- tres. »
Bien plus étudiée est la dissertation de la Baronne de Chapt dans le tome premier de ses Œuvres philosophiques. Cette savante douairière constate cent manières de se servir de l'Even- tail et remarque à bon droit qu'une femme du meilleur ton aurait beau prendre du tabac aussi agréablement que le Duc de *** , se moucher aussi artistement que le Comte de *** , rire aussi finement que la Marquise de *** , allonger le petit doigt aussi à propos que la Présidente de ***, tous ces rares talents ne la dispenseraient pas de savoir user galamment de l'Eventail. « Il est si joli, dit-elle, si commode, si propre à donner de la contenance à une jeune demoiselle et à la tirer d'embarras, lorsqu'elle se présente en un cercle et qu'elle rougit, qu'on ne saurait trop l'exalter. On le voit errer sur les joues, sur la gorge, sur les mains avec une élégance qui produit partout des admirateurs. Aussi, une per- sonne bourgeoisement mise, qui n'a d'esprit que comme ça, qui n'est belle que comme ça, selon
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' le mot du jour, devient supportable si elle connaît les différents coups d'Éventail et si elle sait les adapter ^à propos. fe ' '( L'amour se sert de l'Eventail comme les
enfants se servent d'un hochet, et lui fait prendre ^ toutes sortes de figures, Jusqu'à se briser et à f 'ny^ tomber mille fois par terre. Combien d'Eventails que l'amour a déchirés ! Ce sont les trophées de sa gloire et les images des caprices du beau sexe. « Ce n'est pas une chose indiffé- rente qu'un Eventail qui tombe. Une pareille chute est ordinaire- ment réfléchie, comme servant à faire connaître l'ardeur et la célérité des soupirants. On court, on se prosterne, et celui qui •.^-^-•iS^'^* le premier relève l'E- ^"X'iîtei^"^' ventail en sachant bai- •• J'| ser la main à la déro- *ibée remporte la vie- ^f^]l Ibire. On lui sait gré de sa promptitude, et
— 85 — c'est alors que les yeux, en signe de remerciement, parlent plus haut que la bouche même. »
Quel rôle brillant l'Eventail ne fait-il pas, remarque encore la judicieuse baronne de Chapt (?), lorsqu'il se trouve au bout d'un bras qui gesticule et qui salue du fond d'une voiture ou d'un jardin. Il dit à qui sait l'entendre que celle qui le tient entre ses mains est ravie de vous voir. Ce n'est pas tout. Lorsqu'on veut se procurer la visite d'un cavalier qu'on soupçonne amoureux, on oublie son Éventail et très souvent cette ruse réussit ; car, ou l'Éventail est apporté par le galant lui- même, ou il est renvoyé avec des vers élégants qui l'accompagnent et qui donnent presque- toujours lieu à une réponse. L
Que de fois, pour complaire aux dames, n'a-t-on pas chanté l'Éventail dans ce coquet xvni* siècle ! On faisait mille contes sur ses charmes, son esprit, son origine. Nous avons déjà parlé de la jolie fable de Nou- garet sur l'origine des Éventails ; celle du poète comique Augustin de Piis mérite également d'être ' "' "^ conservée, parmi ces poésies fugitives dans lesquelles la
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— 86 — la facilité supplée au talent et où Tart de plaire fait oublier Part poétique. Voici cette fable-chan- son, extraite des Babioles littéraires et critiques, et qui se disait autrefois sur l'air : « Tout roule aujourd'hui dans le monde».
Ne chantons plus cette fable sur ce vieil air oublié, mais du moins consignons-la dans ce recueil :
Un jour Cupidon solitaire, Les œuvres d'Ovide à la main^ Dans son parc royal de Cythère, Suivait bonnement son chemin, Quand tout à coup voyant les traces De six petits pieds délicats, Il calcula que les trois Grâces Avaient bien pu former ces pas.
Vers ces déesses ingénues
Le voilà qui court promptement ;
On sait qu'elles vont toutes nues,
On sait qu'il va sans vêtements.
Quand ces trois sœurs se virent prises
Par ce petit prince effronté,
On dit qu'elles furent surprises ;
Mais on dit qu'il fut enchanté.
Cupidon, qui venait de lire
Justement la fable d'Argus,
Dit qu'il donnerait son empire
Pour avoir autant d'yeux, et plus.
Mais les Grâces, moins immodestes
Que l'enfant gâté de Cypris,
Sentirent sur leurs fronts célestes
Les roses se changer en lys.
De leur main gauche avec mystère,
Ces trois sœurs ont voilé leur front.
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De l'autre en perpendiculaire, Devinez ce qu'elles feront ? Elles voudront, la chose est claire, Cacher leurs deux yeux à la fois; Alors il sera nécessaire D'écarter tant soit peu les doigts.
Ainsi la chose arriva-t-elle. Et, comme je l'avais prévu. L'amour, de ce trio femelle. Vit à la fin qu'il était vu; Mais, sans déranger ces rusées. Par un industrieux travail, Sur leurs mains ainsi disposées, Il imagina l'Éventail.
Le sexe en adopta la mode. Et l'on sait que cet ornement Surtout en été fut commode. Joint l'utile avec l'agrément. Pour cacher la pudeur d'usage Contre un beau front le papier sert. Et les brins forment un passage Par où l'œil voyage à couvert.
Donner à l'Eventail cette gracieuse origine où FAmour surprend les Grâces et est surpris par elles, voilà une affabulation bien digne du dernier siècle et qui vaut mieux pour nous que toutes les dissertations archéologiques qui ne prouvent que l'ignorance des savants et l'ori- gine de l'ennui qu'ils causent.
Lorsqu'après toutes les petites intrigues de cour la comtesse du Barry fut enfin présentée, le 22 août 1770 par la comtesse de Béarn, à un retour de chasse, au grand scandale du clan des
Choiseul, elle fit une entrée superbe, la tête haute, couverte de bijoux, étalant sur sa gorge un Eventail du plus haut prix, qui assurait son maintien et semblait affirmer par son attitude qu'elle mettait toutes voiles dehors et terrassait enfin les ennemis acharnés à sa perte. L'Éventail jouait encore ici un rôle historique dont nous ne développerons pas l'importance. Tandis qu'il s'ouvrait glorieusement dans les mains de la du Barry, il se fermait et frémissait de dépit dans les mains de la duchesse de Grammont. Invoquons seulement par anti- thèse ce quatrain qu'enregistra Maurepas et qui vise évidemment la favorite :
La sultane du grand sérail De gouverner s'avisait-elle, Son histoire en chanson nouvelle Se lisait sur un Éventail.
N'est-ce pas le cas de citer ici, à propos de toutes ces reines de la main gauche, des demoiselles de Nesles, de M™'= de Châteauroux, de la Pompadour et de la petite Lange, ces vers ingénieux de Mérard Saint- Juste?
Dans les temps reculés, comme aux siècles où nous sommes, Les rois, le sceptre en main, commandèrent aux hommes. UÉventail, plus puissant, commande même aux rois.
Si des intrigues de la cour nous passons au foyer de la Comédie ou de TOpéra^, nous rencontrerons toujours
l'Eventail, aussi bien dans les mains de Zaïre, d'Elmire ou de Roxelane que dans celles des Luciles, des Orphises, des Flo- rises ou des Lisettes.
Au foyer des acteurs, partout on voyait l'Eventail s'agiter dans les conversations aimables auxquelles prenaient part des gentilshommes de la chambre, qui, comme Richelieu, savaient ambrer le vice, ou des abbés folâtres qui allaient de groupe en groupe porter leurs saillies et leurs coquetteries fri- ponnes. En 1763, Goldoni lit représenter à la Comédie italienne une pièce en trois actes, intitulée l'Eventail, qui obtint un succès assez vif. — « Il existait à l'Opéra, constate M. Adolphe Jullien dans son Histoire du cos- tume au théâtre, un singulier usage. Une actrice n'au- rait pas cru pouvoir se dispenser de tenir quelque chose à la main pour entrer en scène. Thélaïre avait un mouchoir, Iphigénie un Eventail, Armide, Médée, toute fée et enchanteresse tenait une baguette d'or, figure de son pouvoir magique. »
Dans la comédie mêlée d'ariettes : Ninette à la cour, de Favart, Fabrice, le confident du prince Astolphe, fait revêtir d'habits magnifiques l'ingénue que son
illustre maître veut séduire et lui présente un Éventail comme complément de sa toilette de grande dame. — A quoi ceci sert-il ? questionne gentiment Ninette, et Fabrice de répondre :
Je vais vous en instruire :
Pour la décence et pour la volupté,
C'est le meuble le plus utile!
Sur les yeux, ce rempart fragile A la pudeur semble ouvrir un asile
Et sert la curiosité.
En glissant un regard entre ses intervalles, D'un coup d'œil juste on peut en sûreté Observer un amant, critiquer ses rivales; On peut, par son secours, en jouant la pudeur. Tout examiner, tout entendre.
Rire de tout, sans alarmer l'honneur.
Son bruit sait exprimer le dépit, la fureur;
Son mouvement léger, un sentiment plus tendre.
L'Eventail sert souvent de signal à l'amour. Met un beau bras dans tout son jour. Donne au maintien que l'on sait prendre .
Des airs aisés et naturels
Enfin, entre les mains d'une femme jolie, C'est le sceptre de la folie Qui commande à tous les mortels !
Il fallait voir dans cette scène la charmante Ninette Favart, la chère petite nièce Pardine, Taimable tourne-tête de l'abbé de Voisenon, Tancienne Justine Chantilly, soulignant de son Éventail sa surprise et ses maladresses à s'en servir. C'est à de telles espiègleries, à ces gen-
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tillesses de l'adorable comédienne que 1 queur de Fontenoy rendit les armes.
L'Eventail à lorgnette, que nous avons en- trevu au xvn* siècle d'après une note du Mena- giana, reprit une nouvelle vogue vers la seconde moitié du xvni^. Dans un entrefilet de la feuille Nécessaire de 1759 nous lisons en effet :
« La curiosité étant égale dans les deux sexes, et les femmes aimant presque autant que nous à rapprocher d'elles les objets qui leur paraissent intéressants, on a imaginé le moyen de satisfaire ce désir sans blesser la modestie : on enchâsse dans les maîtres brins d'un Eventail une lor- gnette, dont les dames peuvent faire usage sans se compromettre, et qui forme une espèce de contre-batterie qu'elles peuvent opposer aux lorgnettes indiscrètes de nos petits-maîtres. »
Cette mode mériterait de revivre aujourd'hui ; mais donnons encore l'hospitalité à ce curieux fait-Paris du même journal, à la même date :
« Il vient d'éclore dans l'empire de la mode un petit phénomène qui pourra bien avoir son succès comme tant d'autres de la même espèce : c'est un Eventail fort riche et d'une forme diffé- rente de tous les autres. Sa sculpture et sa décou- pure sont d'un goût tout à fait nouveau. Ce que cet Éventail a- peut-être de plus agréable, c'est que, lorsqu'il est fermé, il a la forme d'un bou- quet. Le sieur Le Tuteur, qui l'a inventé et qui
— 92 — à Paris, paraît un homme capable d'imaginer et d'exé- cuter beaucoup de ciioses de ce genre. »
Cet Eventail à cocarde, bien connu de nos jours, et qui se replie sur lui-même par un ruban placé dans le manche et qu'on tire à volonté, nous amène à la Révolution, où tout était cocarde. Dans la bourgeoisie et le peuple, nous retrouvons l'Eventail aussi bien dans la foule à l'ouverture des états généraux où il s'épanouit au soleil de mai, aux fenêtres et balcons de Versailles parmi les étoffes précieuses, les jolies toilettes et les fleurs, que plus tard, au 14 juillet, dans le grand mou- vement de Paris qui montra les femmes du faubourg Saint- Antoine incitant les citoyens à la prise de la Bas- tille et semblant désigner de ce frêle colifichet la vieille forteresse qui symbolisait à leurs yeux l'esclavage, le despotisme et la tyrannie.
Lors de la Déclaration des droits de l'homme, l'Eventail, seule arme de la femme, applaudissait l'ère de la li- berté, comme si, par une sorte d'in- stinct^ la femme avait compris que ces droits de l'homme étaient bien un peu les siens et qu'elle devait caresser des espérances d'une indépendance et d'une puissance nouvelle.
L'Eventail, comme toutes les modes du jour, se fit à cet instaijir
- 93 - politique. La Loi, la Justice, la Raison remplacèrent dans les figures les nymphes roses et les coquettes ber- gères Watteau de Tancien régime. On le cerna de tri- colore, on le sema de cocardes, et pendant que l'Eventail révolutionnaire faisait rage à Paris dans les mains frémissantes des fières citoyen- nes, les ci-devant emportaient à l'étranger les chefs - d'œuvre de décoration des Éventails monarchiques, toutes les jolies gouaches de ces artistes hors ligne qui ne songèrent qu'aux grâces et à l'expres- sion artistique du véritable génie fran- f^}
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« Il est un fait à constater, nous disait un grand éventailliste pari- sien, c'est que les émigrés em- , portèrent presque tous leurs y- Éventails avec leurs ^-
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premiers objets de nécessité; tous ces merveil- leux Eventails que Ton retrouve à Pétranger proviennent de l'émigration. Mais au prix de quelles tristesses, de quelles larmes, de quels souvenirs douloureux , les belles disgraciées durent-elles se défaire de ces ornements, com- pagnons de leurs glorieuses séductions, lorsque vinrent les jours de détresse et d'abandon ! »
Au commencement de la Révolution, entre autres choses politiques peintes sur les feuilles de papier ou de satin, on avait fait des Éventails dits : aux états généraux, comme il paraît par ce passage d'une brochure du temps, intitulée la Promenade de province, et qui a un assez joli caractère pour être inséré ici :
« III" Conférence. — L'abbé. — Vous avez là un charmant Eventail, madame, très joli, sur ma parole. Comment nommez-vous ces Eventails-là?
Mimi. — Je vous croyais plus au courant, l'abbé. On appelle ça des Éventails aux états généraux. (Elle lui en donne un coup sur les doigts. )
L'abbé. — Voyons cela, madame... Oui, aux états généraux. Je m'y connais un peu. Voilà apparemment M. Necker sur son trône.
Mimi. — Eh! non, c'est le roi.
L'abbé. — Oui, le roi. De ce côté cet homme en violet représente apparemment la religion.
Mimi. — Non, c'est la Ferme générale.
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L'abbé. — A gauche, cette grande femme, n'est-ce point la France qui remercie le souve- rain?
Mimi, — Point! c'est Minerve qui lui pré- sente les attributs de la gloire et de la sagesse.
L'abbé. — Et ce grand homme assis, et ce petit homme debout avec son cordon bleu, que font-ils là ? Ah ! je devine : ce sont les gardes du corps.
Mimi. — Vous êtes heureux ! ce sont les emblèmes de la noblesse et du clergé qui abdi- quent leurs privilèges.
L'abbé. — Tout cela est très joli , très joli, en vérité.
Mimi. — Vous ne voyez pas tout. Il y a une chanson.
L'abbé. — Une chanson? Ah! vous savez comme j'aime les chansons nouvelles ! C'est ma folie, que les chansons. Voyons, voyons. (Il turhite entre ses dents: ré, ré, mi, lit, si, si, si, ut, si, la.) Boni c'est un six-huit. Je sais cet air-là. Vous allez voir. (Il chante: le roi fait du bien à la France.)
Mimi. — Chantez donc plus bas, on vous écoute.
L'abbé. — Le mal !
Mimi. — Voulez-vous faire une scène ? (Ten- drement. ) Et n'aurez-vous pas le temps de la chanter ce soir?
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-96- Lorsque la Terreur se mit à répandre sa tyrannie sur la France, ces aimables tableaux des Mimi et des petits abbés disparurent pour faire place aux drames de sang, aux femelles hideuses de la révolution, aux tricoteuses inexorables et aux farouches lâcheuses de guillotine. Les dernières femmes, vraiment femmes du xvni^ siècle, qui apparurent se montrèrent sur la fatale charrette dans le flot grondant du peuple déchaîné. C'étaient M""' Roland, les dames de Maillé, de Bussy, de Mouchy, Elisabeth de France, qui toutes allèrent droit au supplice, héroïnes admirables qui conser- vaient encore à cet instant funeste les grâces d'au- trefois, le charme et la beauté de cette Coquette à l'Eventail de Watteau, qui avait jadis symbolisé toute la mutinerie heureuse de leur éclatante Jeu- nesse.
Seule, M'"^ du Barry ne sut pas mourir aussi gracieusement qu'elle avait tenu l'Eventail; seule, elle se cramponna à la vie, tremblante, prise de lâcheté, disant de sa voix d'enfant caressant : f « Encore un moment, monsieur * le Bourreau, je vous prie, encore un moment. »
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Sur les Eventails de la Révolution se lisait la devise républicaine: Liberté, Égalité, Fra- ternité, ou bien le cri : Vive la nation. Quelques- uns portaient le R. F. et les emblèmes de l'Éga- lité : le triangle et le bonnet phrygien. Il y eut aussi les Eventails à la Marat, qui évoquent Timage de Charlotte Gorday, telle qu'Hauer la représente auprès de la baignoire de Vami du peuple, son Éventail d'une main et de l'autre le couteau qui vient de frapper.
Cet Éventail de Charlotte Corday est mentionné dans le dossier de son procès devant le tribunal révo- lutionnaire, et il reste constant que celle-ci n'abandonna pas son Éventail pour frapper Marat; elle semblait, dans la farouche beauté de son fanatisme, vouloir con- server le sceptre de la femme en usurpant pour un instant la puissance et l'énergie d'un héros de l'histoire. Le 10 Thermidor dissipa enfin les ténèbres épou- vantables de la Terreur. « Alors, remarque M. Blondel, tout se réveilla comme au sortir d'une longue léthar- gie. Fatiguées de la barbarie, les femmes portèrent leurs aspirations vers les nobles folies du luxe, vers les prodigalités et vers les fêtes. On vit M"" Tallien, sur- nommée Notre-Dame de Thermidor, M'"^ de Beauhar- nais, la comédienne, M"° Contât, l'hétaïre, M'" Lange et enfin M™"' Récamier tenir tour à tour le sceptre de
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la mode ; quel sceptre en ce cas pourrait le dis- puter à rÉventail ? »
M"' Tallien raconte que sous le Directoire les femmes portaient des Éventails en crêpe, à paillettes ou en cèdre odorant, ou de gris mou- cheté des Indes. Ce sont des Eventails de ce genre que Bosio, dans sa Promenade de Long- champs, plaça entre les mains des élégantes de l'an X de la République. Une autre gravure de modes, datée de thermidor an VIII, représente également une Merveilleuse étendue sur un di- van, occupée à s'éventer avec un petit Éventail en palissandre, dont la feuille est en papier uni de couleur verte; elle s'écrie, selon la pro- nonciation du temps : « Ah ! qu'il fait saud ! »
On ne chante plus alors de sombres chan- sons sur la guillotine, l'Éventail peut avoir son tour et un poète, aujourd'hui oublié, Desprez, composa les couplets suivants sur l'air : Vous m'ordonne\ de la brûler.
I
On a chanté le paravent, L'Éventail est en scène ; L'un éloigne à propos le vent, Et l'autre le ramène. De tous ses feux, de tous ses traits, Lorsque l'été nous presse, L'Éventail appelle un air frais, Un souffle qui caresse.
^^j^êA.:
Il
Retenu dans ses plis nombreux
Entre les mains des belles, Zéphir, pour éteindre leurs feux,
Semble agiter ses ailes. De cheveux il fait voltiger
Une tresse incertaine. Ou soulève un fichu léger
Qu'entr'ouvre son haleine.
II L'Eventail peint tout ce qu'on sent,
Tout ce qu'un cœur éprouve. Il flatte, il refuse, il consent,
Il condamne, il approuve. Aux pieds d'un amant qu'interdit
L'aveu qu'il craint de faire... L'Eventail tombe avec esprit
Pour engager l'affaire.
IV Fait-on un conte un peu joyeux
Qu'Aglaé n'ose entendre, L'Éventail s'ouvre et sur ses yeux
Il est prompt à s'étendre. Voile aimable, chaste ou trompeur,
Mais toujours plein de grâce, Un Éventail sert la pudeur
Ou du moins la remplace.
V J'ai vu l'Éventail factieux, Et d'un parti contraire, De jolis doigts séditieux
Déployant la bannière. L'opinion, comme autre part, Chez nous guide infidèle, Portait alors un étendard Tout aussi léger qu'elle.
A
' L'Eventail factieux dont parle ici le chaftôpnnier eut grand succès dans le monde des Merveilleux et des Merveilleuses; il produisit plus d'une de ces mêlées terribles que signalent les mémorialistes et dans les- quelles les Pouvoirs exécutifs des Muscadins eurent fortement maille à partir contre la résistance des Jaco- bins. On se souvient de la petite émeute de Tan III. L'Eventail séditieux en fut peut- être la cause, car alors le jeu de l'Éventail avait une expression particulière^, un signe distinctif : on peignait sur ses feuilles, dans les branches d'un saule, les traits de Louis XVI, de Marie- Antoinette et du Dau- phin, et comme dans nos questions à l'ordre du jour vers 1878, on ne disait pas: Cher- che:{ le roi , comme nous avons dit : Cherche:{ l'infortuné Bulgare, on entr'ouip t délicatement l'Eventa^ à'une certaine
façon, on laissait entrevoir le nez bourbonien de Louis XVI ou la haute coiffure de la reine; ce n'était rien, mais on s'était compris. Les ornements de l'Éven- tail, les nœuds, les rubans à l'aquarelle demeurèrent longtemps tricolores. Il se portait à la ceinture comme la Balantine, nom dont on avait décoré l'aumônière et l'Eventail promettait encore plus de souriantes au- mônes que jamais aumônière ne contint d'écus. On le trouvait en tous lieux, ce coquet Éventail, sabretache de la mode, qui battait aux genoux des femmes, dans toutes les promenades, à tous les jardins de plaisance, à toutes les fêtes : à Tivoli, à Idalie, à i'Élysée, au pa- villon de Hanovre, à Frascati, à Bagatelle, au petit Co- blentz et dans ces Galeries du Palais-Egalité, dont Boilly devait, quelques années plus tard, fixer la physionomie avec leur public grouillant de nymphes mi-vêtues, de beaux militaires conquérants , de bourgeois épeurés, tout ce monde de filles d'amour, de camelots et de flâ- neurs, mélange curieux de citoyens, de prostituées et de soldats de toutes armes, qui anima ces fameuses galeries de bois pendant le cours du premier Empire.
C'est aussi chez le dieu Vestris qu'il faut voir l'Eventail sur la fin du Directoire, dans tous les bals innombrables qui se produisirent à Paris, depuis le Bal de Calypso, VHôtel de la Chine, l'hôtel Biron, jusqu'au Bal des Zé- phyrs et au fameux Bal des Victimes, où l'É- ventail, également nommé à la Victime, se glissait à la ceinture pendant les contredanses
— 102 —
pour être déployé gracieusement au moment du repos, lorsque, toutes rouges de plaisir et d'ex- citation, les languissantes danseuses tombaient gentiment pâmées sur un siège, semblant deman- der grâce à leur cavalier.
L'Éventail entièrement découpé à Jour et à brins reliés par une faveur devint de mode; il était fait de matières comprimées qui donnaient des dessins en relief, ou bien encore en métal, en ivoire et en corne. Les Eventails parfumés auraient, paraît-il, fait également fureur, si nous en croyons une note du journal le Menteur, citée par M. Blondel, et qui nous apprend qu'aux fameux concerts Feydeau, lorsque le chanteur Garât, l'enfant chéri du succès et des belles, entrait en scène, un murmure sympathique parcourait la salle et, ajoutait le courriériste, « à ce moment, les têtes mobiles s'agitent, les plumes voltigent, les Eventails à la Civette frémissent ».
Lorsque la paille fut -adoptée pour les cha- peaux, les rubans, les panaches, les ceintures et les glands, l'Eventail ne resta pas en arrière et fut coquettement fabriqué au goût du jour. « Ce n'est plus que paille dans la toilette appauvrie des dames, disent MM. de Goncourt dans leur Sociétéfrancaise pendant le Directoire : cornettes de paille, bonnets de paille, éventails de paille.
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— io3 —
et , sur les paillettes proscrites, écoutons la
chanson du temps :
Paillette aux bonnets.
Aux toquets. Aux petits corsets! Aux fins bandeaux, Aux grands chapeaux, Paillette.
Aux noirs colliers^ Aux blancs souliers.
Paillette. Paillette aux rubans,
Aux turbans, On ne voit rien sans
Paillette,
Vers le premier Empire on vit apparaître des Éventails minuscules, appelés lilliputiens, qui avaient juste Pampleur nécessaire pour masquer à peine un sourire indiscret ou une rougeur su- bite. L'ancienne chanoinesse deBourbon-Lancy, M™* de Genlis, qui avait vu bien des révolu- tions dans les modes, constate avec une pointe d'amertume cette réduction de l'Éventail dans son Dictionnaire des étiquettes :
«Au temps où Ton rougissait encore, dit l'au- teur des Annales de la Vertu, dans ce temps oii l'on voulait dissimuler son embarras et sa timi- dité, on portait de grands Éventails ; c'était à la fois une contenance et un voile. En agitant son Éventail, on se cachait; aujourd'hui l'on rougit
peu, on ne s''intimide point, on n'a nulle envie de se cacher et Ton ne porte que des Eventails impercep- tibles. ))'
Ces imperceptibles, néanmoins et quoi qu'en dise l'aimable comtesse, faisaient encore belle figure dans les salons de la rue du Bac, à V Abbaye au Bois, chez M"" Récamier et dans toutes les petites réunions, alors qu'on jouait de la harpe et du théorbe devant les hussards d'Augereau et que les poètes du temps décla- maient pompeusement des acrostiches sur VEventail dignes d'être insérés dans quelques feuilles littéraires comme VEcharpe d'Iris ou V Album des arts.
Un parnassien irrémédiablement enfoui sous la poussière de l'oubli a laissé cet acrostiche assez habile sur l'Eventail, auquel nous donnons l'hospitalité comme marquant la forme et l'esprit d'alors.
frj'Ve n'a point connu mon élégant travail; <jénus m'imagina. Le féminin bercail, trjt maint peuple rôti qui tout cru mange l'ail, 2;érine à l'Opéra, Fatmé dans le sérail, .-prouvent dans mon secours un utile attirail. > l'aide de mon jeu, savant dans son détail, —•ris à plus d'un cœur a fait faire un long bail. r"e sceptre d'une belle est vraiment l'Éventail.
N'était-ce pas bien l'époque sentimentale où Fiévée conçut la Dot de Sm^ette et où Hyacinthe Gaston écri- vait ce quatrain dans VAdolescejîce ou la Boëte aux billets doux?
Un Éventail qui tombe à terre, Un livre, un ruban, une fleur, Tout sert à l'amoureux mystère : Rien n'est perdu pour le bonheur.
Cet Éventail de TEmpire qui apparaît à Taurore de notre siècle au milieu d'une , fièvre de conquêtes et de guerres san- V glantes, cet Eventail qui salua les vie- - toires de nos soldats sur les balcons des villes d'Italie, d'Espagne et d'Allemagne, \ cet Éventail qui indiqua de si galants rendez-vous à nos brillants officiers cou- verts de gloire, cet Éventail enfin qui saluait le courage au passage, devait, comme dans les drames et pièces militaires de l'ancien Cirque, Jouer également son rôle sur les champs de bataille, dans les mains d'une vaillante cantinière donnant ses soins aux blessés, éventant leurs visages brûlés par le soleil, avec ces attentions, ces douceurs, presque cette maternité qui reste latente chez toutes les femmes et qui font d'elles des anges de dévoue- ment, d'admirables sœurs de charité.
•Dans les soirées et les réceptions mondaines, la maîtresse de céans avait acquis un art tout nouveau dans l'usage expressif et bienveillant de l'Éventail. Lady Morgan, ci-devant miss Owenson, dans son ouvrage
^
— io6 — sur la France et à propos d'une réception chez la duchesse de la Trémoille, fait mention de cette particularité lorsqu''elle écrit :
« La manière dont une Française reçoit la visite des personnes de son sexe est civile et respectueuse. On peut y remarquer une teinte de cérémonie, mais elle porte toujours l'empreinte de la politesse et de l'attention. L'accueil qu'elle fait aux hommes est, en général, prévenant, mais ne manque pas d'une certaine dignité. Elle ne se lève pas de son siège, elle paye leur salut d'un sourire, d'un mouvement de tête, d'un bonsoir, d'un bonjour, d'un comment cela va-t-il ? ou de quelque autre petite marque d'attention très coquette, comme un coup d'Eventail qui dit bien des choses, une main qu'elle présente à baiser, une expression de surprise agréable en les voyant paraître sans être attendus. C'est un air, c'est un regard, c'est quelque chose, ce n'est rien, et prétendre en faire la description ou la définition serait une témérité. »
Les feuilles des Éventails portaient alors eomme ornements décoratifs des trophées guer- riers, des casques, des cuirasses, des canons croisés, le portrait de Bonaparte avec le chapeau légendaire et fameuse redingote grise -, d'autres dissimulaient un écusson royal ou un semis de fleurs de lis qui peignait un désir de restau- ration bourbonienne; d'autres encore, décorés- à
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— 107 — la grecque ou à la romaine, offraient des images de Calypso rêveuse, des scènes vagues de Héro et Léandre , des Cornélie montrant ses bijoux, ou des emblèmes de Tantiquité interpréte'e à la moderne, selon le vilain goût Pompier ressus- cité par David et ses disciples.
Quelques Éventails brisés étaient garnis de tafifetas découpé et appliqué sur gaze, tandis que d'autres étaient simplement enjolivés de pail- lettes d'acier ou de cuivre, selon l'aspect des bijoux du Petit Dunkerque. Victor-Etienne de Jouy, l'académicien, qui comparait le sein des femmes à des globes d'albâtre ciselé par les Grâces, de Jouy, l'ancien militaire, auteur du Franc Parleur, raconte, au cours des cinq volumes de son Ermite de la Chaiissée-d'Antin, qu'ayant été parrain vers le mois d'août 1811, il dut acheter chez Tessier, parfumeur à la Cloche d'or ^ une corbeille de baplême, et il ajoute que, pour la somme modeste de 420 francs, la demoiselle, de comptoir mit dans cette corbeille un bouquet de fleurs artificielles, quelques sachets, deux flacons d'essence de rose, un collier de pastilles du Sérail, six douzaines de paires de gants et enfin dettx éventails^ l'un brodé en acier selon la mode, l'autre en écaille blonde et à lorgnette.
C'est à cette époque que firent leur apparition les curieux Eventails brisés pour bal, en peau d'âne, sur laquelle les dames écrivaient à la
mine de plomb ou avec une épin- gle d'argent les noms de leuis cavaliers pour la valse ou le qua- drille, ^■^-^â^ous la Restauration, les Eventails se firent " un instant ajiagrammatiques, c''est-à-dire qu'au moyen d'un mécanisme ingénieux la légende ou 4e mot, qui se trouvait écrit sur la feuille ou les brins, se changeait brusquement parla trans- position des lettres; au lieu de i^oma, on lisait -4mor, et ainsi de suite.
On reprenait également volontiers les petits vers ou madrigaux qu'on disait aux dames. Louis XVIII, qui citait mieux et plus souvent qu'il ne composait et qu'on proclamait poète pour peu que sa mémoire le servît bien, le ci-devant Monsieur, écrivit un jour sur la lame d'ivoire de l'Eventail d'une dame incon- nue ce joli quatrain demeuré célèbre :
Dans le temps des chaleurs extrêmes, Heureux d'amuser vos loisirs, Je saurai prés de vous ramener les zéphirs; Les amours y viendront d'eux-mêmes.
Et tous les courtisans de s'exclamer, alors que Louis XVII I, bien loin d'avoir imaginé le quatrain, l'avait très effrontément dérobé à l'auteur de l'Em- pire de la Mode , au spirituel poète académicien
Leraierre, sans e!
gare, et tout heu- ■* - -^-r^
reux de l'attribution qu'on voulaii bien lui en faire.
Aujourd'hui chacun cite encore ce fin madrigal comme un des plus gracieux spé- cimens de l'esprit de Louis XVIII. Rendons à Le-^^ mierre ce qui est à Lemierre , les flatteurs n'étant plus là pour protester.
La littérature de la Restauration n'avait rien, au reste, des mignardises et des finesses malicieuses^aj du xvin* siècle. L'esprit pratique semblait s'êtr^ éthéré dans une sentimentalité larmoyeuse ett^ dans un idéal bleu qui montait au zénith et se confondait avec lui. Le Génie du christianisme et les Méditations de Lamartine, parus plus tard, avaient apporté dans les âmes avec leur langage harmonieux un charme mystérieux de souffrance, une sensation troublante qui dépêtrait l'amour de la matièrei
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— no — et le faisait d'un platonisme nourri de chi- mères, basé sur des affinités que Stendhal cher- cha à définir par sa théorie de la Cristallisation. L'amour sanglotait et ne riait plus ; dans la main des femmes l'Éventail avait pris quelque chose de ce replié sur soi-même qui était le signe distinctif de cette époque exsangue et sensitive à l'excès. Il exprimait l'abattement, la mélancolie profonde , la sombre névrose des cerveaux ; il ne s'ouvrait plus avec cette crânerie d'antan pour comprimer le rire ou cacher un baiser des lèvres ; il demeurait en- tr'ouvert ou plutôt mi-fermé, soulevé décem- ment à la hauteur de la gorge ou du bouffant des manches à gigot, ou bien il tombait le long de la jupe tristement dans une allure de désespérance, comme un meuble inutile, devant cette froideur matérielle de la passion. Dans les romans qui paraissaient alors, dans Valérie de M™^ de Krudner, dans Ourika, dans Irma ou les malheurs d'une jeune orpheline, dans Adèle de Sénange, dans la Jeime fille, ou Malheur et vertu, dans Louise de Senancourt, dans Malvina, dans toutes les œuvres enfin du bas-bleuisme de la première moitié de ce siècle, l'Éventail est visiblement négligé. On sent que dans les aven- tures de ces amoureux transis et marmiteux, il n'a rien à faire et qu'il n'aura plus à se briser
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sur les joues d'un téméraire qui va droit au but, comme ce bon abbé Duportail au xvin« siècle, ^ qui périt au champ d'honneur et auquel on fit J cette aimable épitaphe :
Ci-gît l'abbé Duportail, Qui mourut d'un coup d'éventail.
Il nous faut arriver à Balzac et aux Parents pauvres pour trouver dans ce chef-d'œuvre qui a nom le Cousin Pons un charmant souvenir sur l'Éventail de M°^® de Pompadour, qui demeurera éternellement dans le souvenir des délicats :
« Le bonhomme Pons arrive Joyeux chez la présidente de Marville, après avoir trouvé, chez un brocanteur, un bijou d'Eventail renfermé dans une petite boîte en bois de Sainte-Lucie, qui était signé de Watteau et avait appartenu à M°" de Pompadour. Le vieux musicien s'in- cline devant sa cousine et lui offre l'Éventail de l'ancienne favorite, par ces mots d'une royale galanterie :
— // est temps que ce qui a servi au vice soit aux mains de la vertu. Il aura fallu cent ans pour opérer ce miracle. Soyez sûre qu'aucune prin- cesse n'aura rien de comparable à ce chef- d'œuvre, car il est malheureusement dans la nature humaine de faire plus pour une Pom- padour que pour une vertueuse reine. »
Si du roman nous passons à la réalité, nous voyons l'Éventail ac- quérir une importance historique spéciale dans nos annales, lorsque, le 3o avril 1827, Hussein, le dey M'Alger, dans un mouvement de colère, frappa ou plutôt caressa des plumes de son éventail M. Deval, notre consul de France, et refusa de faire amende honorable pour cet acte brutal qui entraîna la conquête de l'Algérie et, par suite, notre voyage actuel en Tunisie.
Barthélémy et Méry firent paraître dans la Pandore' du 1 1 novembre 1827 une sorte de poème héroï-comique, la Bacriade, ou la guet^re d'' Alger, en cinq chants, qui commence ainsi :
Un dey plein d'arrogance
Sur une joue auguste a souffleté la France,
et se termine par ces vers, qui font allusion aux causes de l'incident et à la conduite de notre chargé d'affaires :
Ni Bacry ni mon or... téméraire Français! Que ce coup d'Eventail te flétrisse à jamais ! A ce coup, le chrétien, frémissant de colère, Était près de saisir son glaive consulaii-e; Mais, diplomate habile, il calme son transport, Fait un présent au dey, le remercie et sort.
Ce poème de Barthélémy et Méry, bien que déjà vieillot, est intéressant encore à relire aujourd'hui.
— ii3 — Ce n'était plus le cas néanmoins de soupirer :
D'un Eventail soigneux, le Zéphyr caressant
Dans un cœur quelquefois allume un feu naissant.
Le feu naissant n'était plus de saison, mais bien le feu ardent de la guerre et les événements rapides qui s'enchaînent : la marine française sous les ordres de l'amiral Duperré bloquant Alger le 14 Juin i83o, puis l'armée d'expédition débarquant et, à la suite de ce fameux coup d'Éventail, tous les beaux faits d'armes qui s'ensuivirent et que nous revoyons comme en un panorama: Mazagran, la prise de Gonstantine, la mer- veilleuse retraite du commandant Changarnier ; Lamo- ricière à la tête de ses :{ouaves intrépides ; Cavaignac, le maréchal Bugeaud, toute une épopée qui revit dans les curieuses lithographies de Rafifet ; et, dominant tous ces combats, comme l'écrivait un chroniqueur parisien, la grande figure d'Abd-el-Kader, l'en- jeini glorieux dans sa défaite.
Nous laisser aller au souvenir de ces brillantes escarmouches dans notre colonie d^Afrique serait sortir de notre sujet. — Revenons donc aux Eventails, en constatant qu'à Rome le pape Gré- goire XVI ne sortait jamais dans la ville sainte, et particulièrement au moment des solennités pu- bliques et de Xsifesta di catedra, sans être accom- pagné, auprès de sa litière, de deux porteurs d'Éventails de plumes de paon, à long manche d'ivoire, qui ne servaient que pour le décorum et n'étaient jamais agités sur le visage du pontife. Dans le courant de l'été 1828, lors de la pre- mière représentation d'un opéra-comique intitulé Corisandre, comme la chaleur était étouffante et que les jeunes dandys se pâmaient, alanguis dans leurs loges, un industriel eut l'idée de vendre des éventails en papier vert aux hommes et la salle entière s'en trouva munie. La mode adopta cette innovation des éventails masculins, qui re- çurent le nom de Corisandres, mais cette origi- nalité ne tint point longtemps à Paris, comme à Venise et dans les principales villes d'Italie où les hommes se familiarisèrent au jeu de l'Éventail et, dès l'hiver 1828-1829, nos élégants, pour mieux dire nos Beaux, abdiquèrent le sceptre de la femme et reprirent comme auparavant les sticks de jonc ou les lourdes cannes à pommeau d'or ci- selé,dont ils se servaient avec unedistinction et un charme que nous avons , hélas ! totalement oubliés ,
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— ii5 —
Les Eventails se portaient très grands et, si les plumes n'avaient pas tout à fait retnplacé les feuilles de vélin ou de satin décorées à la gouache, du moins étaient-elles en majorité.
Une chronique de la fin du règne de Charles X, le Lys, contient cette note sur la mode du jour :
« Quant aux Éventails, ceux en plumes noires, peintes et dorées, et ceux en laque à dessins chi- nois en or, jouissent d\me égale faveur; il est à observer que, pour qu'ils aient toute la sou- plesse et la solidité convenables, ces derniers doivent être montés sur bambou, et nous enga- geons nos lectrices à se le rappeler lorsqu'elles feront usage d'un de ces Eventails. »
Il y avait encore l'Éventail à miroir qui fit Jlorès un moment et l'Éventail de plumes d'au- truche et d'oiseaux des îles. On se prit enfin de passion pour les Éventails anciens, on les re- chercha partout et on les enleva à tout prix. Ce goût devint si vif, remarque M. Natalis Rondot , que plusieurs éventaillistes s'exer- cèrent à imiter les Éventails genres Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.
Les peintres et les sculpteurs manquaient ; mais, grâce à M. Desrochers, qui se mit à la tête de cette petite branche d'industrie , on arriva à exécuter des ouvrages qui sou- tinrent la comparaison avec les chefs-d'œuvre du xvni® siècle. »
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— ii6 — Les grisettes et les Mimi Pinson de Tépoque, ces belles et bonnes filles en robes d'organdi ou en canezou blanc, chantées par les poètes qui nous ont précédés et mises dans une lumière de jeunesse et de gaieté, parmi les joyeux romans populaires de Paul de Kock, les gentilles grisettes d^avant i85o se contentaient d'Even- tails de papier ou de plumes de colibri, légers comme leurs cervelles d'oiseaux, lorsque, le dimanche, toutes ces rieuses amoureuses allaient à Romàinville, aux Lilas ou dans les bois de Montfermeil, en compagnie d'amants sans façon, de peintres sans hautes ambi- tions , d'aimables rédacteurs du Corsaire , de bons vivants qui savaient encore s'esbaudir dans les plaisirs simples, les promenades à âne, les sommaires déjeuners sous bois, et faire rimer, en un mot, ivresse avec jeu- jiesse et humour avec amour. — Que de bousculades, de rêves vibrants sous les taillis, de francs baisers sonores qu'on ne songeait pas à dissi- muler! Là sont enfouis les plus doux souvenirs de nos pères, de ces souvenirs qu'ils aiment à tisonner avec le charme que leur donne le pa'ssé ''^1 qui prête encore à l'illusion.
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Mais il nous faut jeter un coup d'œil en Espagne, au pays même de l'Eventail, dans la contrée des sérénades, des escopeteros, des gitanos et des belles serioras que notre génération ro- mantique de i83o a mise si fort à contribution pour ses poésies colorées et ses nouvelles et romans tissés de bizarre. Cest en Espagne que nous trouvons le fameux manejo de abanico si aisément appris par toutes les seiîoritas de la chrétienté. On y appelle le jeu de l'Eventail abanicar, de même que le jeu de la prunelle se nomme ojeary et Fun ne va pas sans l'autre; les deux se complètent : à galant coup d'E- ventail, coup d'œil brûlant qui enflam- me, d'où le sage proverbe-=d£astilfan (refrane) ojos "que- no veen , cora\on que no quebra.
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ii8 — Théophile Gautier, dans Tra los Montes, a très remarquablement analysé l'importance de rÉventail en Espagne.
« L'Éventail corrige un peu la prétention de l'Espagnole au parisianisme. Une femme sans Eventail est une chose que je n'ai pas encore vue en ce bienheureux pays. J'en ai vu qui avaient des souliers de satin sans bas, mais elles avaient un Éventail; l'Éventail les suit partout, même à l'église, où vous rencontrez des groupes de femmes de tout âge, agenouillées ou accrou- pies sur leurs talons, qui prient et s'éventent avec ferveur.,. Manœuvrer l'Éventail est un art totalement inconnu en France. Les Espagnoles y excellent; l'Éventail s'ouvre, se ferme, se re- tourne dans leurs doigts si vivement, si légère- ment, qu'un prestidigitateur ne ferait pas mieux. Quelques élégantes en forment des collections du plus grand prix ; nous en avons vu une qui en comptait plus de cent de différents styles; il y en avait de tous pays et de toute époque : ivoire, écaille, bois de santal, paillettes, gouaches du temps de Louis XIV et de Louis XV, papier de riz, du Japon et de Chine, rien n'y manquait. Plusieurs étaient étoiles de rubis, de diamants et autres pierres précieuses; c'est un luxe de bon goût et une charmante manie pour une jolie femme. Les Éventails qui se ferment et s'épa- nouissent produisent un petit sifflement qui,
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répété plus de mille fois par minute, jette sa note à travers la confuse rumeur qui flotte sur la promenade, et a quelque chose d'étrange pour une oreille française. Lorsqu'une femme ren- contre quelqu'un de connaissance, elle lui fait un petit signe d'Éventail, et lui Jette en passant le mot agiir, qui se prononce agour. »
A cette description du grand coloriste Théo- phile Gautier ajoutons un passage de l'homme d'Etat romancier, Benjamin Disraeli, qui, dans Contarîni Flembig, a donné quelques jolis aper- çus sur l'Eventail espagnol.
« Une dame espagnole, dit-il, ferait honte avec son Eventail à une troupe de cavaliers. Tantôt &lle le déploie avec la lenteur pompeuse et la consciencieuse élégance de l'oiseau de Junon; tantôt elle l'agite avec une morbidesse noncha- lante ou avec une attrayante vivacité ; tantôt l'E- ventail se referme avec un frémissement qui ressemble au battement d'ailes d'un oiseau et vous fait tressaillir. Psst ! au milieu de votre confusion, l'Éventail de Dolorès vous touche le coude ; vous vous retournez pour écouter, et celui de Catalana vient de vous piquer au flanc. Instrument magique ! Dans ce pays il parle une langue particulière; la galanterie n'a besoin que de ce délicat bijou pour exprimer ses plus substiles conceptions ou ses plus raisonnables - exigences. »
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Passons de l'Espagne à notre grand et beau ^ , Paris, où l'Éventail brillait avec assez d'éclat et d#^v magnificence sur le velours nacarat des baignoires '^'%: et des loges au théâtre, dans les mains des lionnes ^r^v charmantes du glorieux i83o. Si nos Parisiennes c, ont moins de prestesse de mouvement et moins de langueur dans le maniement de ce Joli hochet
que les brûlantes Espagnoles, elles ont en échange plus de finesse et de distinction native, plus de
_^^£;^^^.Jif<^^uerie et surtout plus de ce je ne sais quoi, qui
r^^i^fait de la Française la reine incontestée du monde
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entier.
Sous le bon règne paisible de Louis-Philippe, l'Eventail s'embourgeoisa peut-être un peu sur les grosses poitrines des commères hautes en couleur, si bien esquissées par Henri Monnier et caricatu- rées par Daumier ; peut-être dans ce temps de garde nationale prétentieuse perdit-il un peu de son g|[ prestige.
« Qu'importe, disait un bourgeois d'alors, que
tel poète soit singulier dans son humeur, tel dandy
recherché dans ses habits, que telle coquette enfin
soit minaudière ! Elle peut rougir, blanchir, mou-
cheter son visage et coucher avec son amant,
sans envahir ma propriété ou diminuer mon
commerce. L'ennuyeux froissement d'un
Éventail qui s'ouvre et se ferme sans cesse
n'ébranle point nos constitutions. »
Mais en dépit de cette lourde ihc rence, FÉventail pénétra dans le peuple et se fit démocratique comme le parapluie, symbole des mœurs calmes. Il n'est pas aujourd'hui de modeste ouvrière, d'humble fille des faubourgs, à qui l'amour n'ait fait hommage, avec le bouquet de roses et le galant billet doux, d'un Éventail enjolivé de fleurs qu'elle sait gracieusement agiter sur sa beauté mutine et chiffonnée de petite Pa- risienne, de Gavroche femelle satisfaite du moindre bout de dentelle ou de ruban.
Au commencement du siècle, si on en croit le Spectateur, une dame anglaise établit à Londres une Académie pour y dresser les jeunes demoiselles de toutes conditions dans l'exercice de l'Éventail. — Cet exercice se décomposait en six temps et le curieux bataillon enjuponné, rangé en bataille, devait manœu- vrer deux fois le jour et obéir aux commandements suivants : Prene:{ vos Éventails, Déferiez vos Eventails, Décharge^ vos Éventails, Mette^ bas vos Eventails, Reprenez vos Éventails, Agite\ vos Eventails. — L'agi- tation de l'éventail était, paraît-il , le chef-d'œuvre de tout l'exercice et le plus difficile à obtenir dans ces singulières compagnies de riflemen de l'Eventail. — A cet effet, la colonelle institutrice, qui dirigeait les opérations avec un large Éventail à la Marlborough, avait composé en faveur de ses écolières un petit traité très clair et succinct dans lequel elle avait su concen-
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trer tout VArt d'aimer d'Ovide; cette théorie avait pour titre : les Passions de V Eventail et ten- dait à faire de ce meuble coquet Tarme la plus dangereuse dans la guerre de Tamour.
L'ingénieuse institutrice avait en outre établi à des heures particulières un cours spécial pour hommes, dans le but d'enseigner aux Jeunes gentlemen l'art de faire leur cour à un Eventail d'après des règles qui garantissaient le succès après trente ou quarante leçons.
Nous ignorons si cette honorable lady fit parmi ses élèves de brillantes Célimènes, des Arsinoé et d'irrésistibles don Juans ; mais il est intéressant de donner l'explication de l'exercice en six temps enseigné par cette guerrière expéri- mentée, ainsi qu'a cru le comprendre un maître es Jeux des grâces, qui fit jadis la géographie de la femme sous le spirituel pseudonyme de Malte-Blond, -
« Préparer l'Eventail^ dit-il, c'est le prendre fermé, en le tenant négligemment entre deux doigts , mais avec aisance et d'une manière digne. — Déferler l'Eventail, c'est l'ouvrir par degrés, le refermer ensuite, en lui faisant faire de coquettes ondulations. — Décharger VE- ventail, c'est l'ouvrir tout d'un coup, de ma- nière à faire un petit bruit sec qui attire l'at- tention des Jeunes hommes distraits, qui négli- gent de vous lorgner. — Mettre bas l'Eventail,
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c^est le poser n'importe où^ afin de faire sem- blant de rajuster ses boucles ou ses ban- deaux pour montrer un bras blanc et potelé, des doigts effilés et roses. — Reprendre son Even- tail,c''est s'en armer de nouveau et lui faire faire de féminines et irrésistibles évolutions. — Agiter l'Eventail, c'est s'en rafraîchir le visage, ou bien traduire à qui de droit son agitation, sa modestie, sa crainte, sa confusion, son en- jouement, son amour. »
L'art du maniement de l'Eventail ne s'ap- prend pas en réalité ; il est inné chez la femme de race, comme sont innés chez elle ses moindres gestes qui captivent, ses douces caresses enfan- tines, son parler, son regard, sa démarche. Dans l'arsenal où sont les armes de la coquetterie féminine, la femme s'empare naturellement de l'Eventail et sait en user dès le jeune âge en jouant à la grande dame avec sa poupée. Elle sent d'instinct que toutes les ruses de l'amour, toutes les roueries de la galanterie, toute la grâce des oui ou des non, tous les accents des soupirs, sont cachés dans les plis de son Éventail; elle comprend que derrière ce frêle rempart elle étudiera l'ennemi, qu'en se démasquant à moitié elle ouvrira une terrible meurtrière et que plus tard, sous l'Éventail déployé, elle risquera des aveux furtifs et recueillera des demi-mots qui lui iront au cœur.
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« Quelle que soit la chaleur du climat, dit Charles Blanc dans l'Art dans la parure et le vêtement^ TÉven- tail est, avant tout, un accessoire de toilette, un moyen de motiver des mouvements gracieux, sous prétexte d'agiter Pair pour le rafraîchir. Ce rideau mobile fait tour à tour Pofiice de laisser voir ce que Ton veut mas- quer et de voiler ce que Ton veut découvrir. »
Il n'est point, à notre sens, de plus juste définition de l'Eventail.
Une des dernières anecdotes qui nous viennent à l'esprit dans cette revue historique de l'Éventail, est celle qui a trait à l'ex-roi Louis de Bavière, — le galant et prodigue adorateur de la courtisane danseuse Lola Montés, — qui poussa sa passion pour les femmes aussi loin que son goût d'érudit éclairé pour les beaux-arts. A l'un des bals de sa cour, une délicieuse princesse ayant par mégarde laissé tomber son Éventail, le monarque s'empressait , genou en terre, à le re- l^yei;';; fiôur le remettre, avec le baiser d'usage, entre les mains de la belle étourdie, lorsqu'il heurta violemment du front un gentilhomme non moins désireux que Son Altesse de saisir au vol cette galante occasion de rendre hommage
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à la beauté. Le choc fut si rude, si inattendu, si brutal que le roi Louis, étourdi sur le moment, ne tarda pas à voir croître sur son front cette loupe énorme, dis- gracieuse et célèbre que nous avons pu voir encore à Nice, vers 1869, lorsque le corps de Pex-roi y fut exposé dans une chapelle ardente où veillaient , comme des géants en uniforme , deux superbes gardes du corps bavarois.
Aujourd'hui , partout où se meut et règne une Jolie femme, rÉventail apparaît avec ses en- chantements, ses sourires, sa coquetterie exquise; il apparaît muni de toutes les ressources, de toutes les variétés de Fart moderne, et aussi de toute la science décorative que nous apprenons chaque Jour davantage à puiser dans les dispo- sitions merveilleuses du Japonisme et des chinoi- series. Dans les mois d'été, au concert, sur les boulevards, devant les cafés où se presse la foule altérée, en w^agon, sur les plages, sur les pelouses des châteaux, pendant les parties de loipn-tennis ou de crocket, PÉventail pointe sa note gaie et son tatouage de couleurs brillantes. Son mouvement de va-et-vient semble Jeter dans l'air de suaves émanations féminines qui montent au cerveau des sensitifs, et lors qu'on le retrouve dans les tête-à-tête de l'hiver, au milieu de la tiède atmosphère [des salons, palpitant dans la causerie sur les fossettes rieuses d'un Joli visage, iîossède un charme ensorcelant, comm
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une puissance d^attraction, vers la charmante créature qui le manie si délicatement et qu^il semble protéger railleusement, comme s"'il suffi- sait de le ployer tout à coup avec une dignité froide pour imposer le respect au plus téméraire.
Grâce àPintelligente initiative des Desrochers, des Alexandre, des Duvelleroy, presque tous les grands artistes de ce siècle ont concouru par des compositions à la gouache ou à l'aquarelle à la décoration d'Eventails hors ligne. — Ingres, Horace Vernet, Léon Cogniet, Célestin Nanteuil, Eugène Lamy, Rosa Bonheur, Edouard de Beau- mont, H. Baron, Gérome, Vidal, Robert-Fleury, Antigna, Blanchard, Gendron, Français, Wattier, Vibert, Leloir, Madeleine Lemaire, Hamon, etc., ont signé de petits et de grands chefs-d'œuvre, et les éventaillistes modernes ne s'arrêteront pas dans cette ère de rénovation du grand Even- tail d'art.
Nous voici au bout de notre ouvrage, tout étonné de le voir achevé sitôt, et semblant con- stater vis-à-vis de notre lectrice, avec un soupir de regret, combien le temps nous parut court dans ces discours à bâtons rompus sur le sceptre féminin. Nous avons été de ci de là, sans grande méthode, plutôt en causeur qu'en écrivain minu- tieux. Autour de l'Eventail, ce papillon de la femme, qui caresse son visage, enveloppe son
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sourire et son regard, autour de cet inconstant
'^ hochet de l'inconstance, nous ne pouvions conser- v ver la gravité d'un savant qui argumente sur un vase étrusque ou sur un tumulus antique. Aussi avons-nous papillonné de notre mieux à travers l'histoire, ne nous fixant nulle part pour mieux nous poser partout.
L'auteur a-t-il nonobstant réussi à faire œuvre qui vaille, ou bien l'£'ve«;fd!z7 est-il tombé des mains des belles assoupies parl'ennui seul de sa soporifique lecture ?
L'intérêt, il faut l'avouer, n'a de gradation réelle et accusée que dans le roman ou le drame; toute dissertation, si légèrement traitée fût-elle, a besoin d'être relevée des piments de l'anecdote, du ragoût des Jeux de mots, des dou- ceurs du madrigal ou des pointes de l'épigramme, pour se maintenir au même degré de curiosité. Il manque en outre toujours quelque chose à ces sortes d'ouvrages , ce rien indéfinissable que le gourmet de lettres découvre, une certaine liaison, un doigt de cordial réconfortant ou une pincée d'épices qui saupoudre le tout; encore faut-il que ce tout soit Jeté dans un moule per- sonnel et agréable.
Saurons-nous Jamais si, dans ce petit livre, nous sommes arrivé à cet à peu près qui est le satisfecit de tout écrivain primesautier qui ne
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saurait prétendre à une perfection absolue trop sou- vent exilée de ce monde?
De grâce, étendez l'envergure de votre Eventail, aimable et coquette lectrice, et derrière ce discret para- vent, saris minauderie ni détours, confiez bien bas à Fauteur ce que vous pensez de son bavardage.
Hélas! juste ciel! Madame, ne sommeillez-vous point, et l'Eventail n'est-il pas à terre, à deux pas de votre causeuse et loin de vos jolis yeux demi-clos?
Appendice
APPENDICE
^^^Ç^^A I l'auteur de ce livre sur l'Eventail pou- l^^^\ ^^^^ ^^^ faire l'historique au lecteur, V^k^^S depuis le germe de l'ide'e première, la période d'incubation et les tracas d'exécution matérielle jusqu'aux nombreuses difficultés d'un thème littéraire à développer graduellement, sans tomber, d'une part, dans l'excès d'une érudition d'archéologue et la sécheresse des détails techniques, et sans glisser, d'autre part, sur le terrain agréable d'une extrême fantaisie, on conviendrait qu'il était malaisé de demeurer plus strictement dans le juste milieu voulu, dans ces régions tempérées de V Utile Dulci où se complaît à bon droit le public de notre époque. Que l'on conçoive un instant la somme de lectures que comporte un tel ouvrage, le nombre
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invraisemblable de littératures diverses inven- toriées, de romans feuilletés, d^historiens con- sultés, d^anecdotiers entr'ouverts, de poètes mis à contribution, de recueils bibliographiques et de miscellanées parcourus , de monographies ""^^^ du costume étudiées, de rapports artistiques ou jk^
industriels analysés, de pièces de théâtre rapi- .=2:^1^ dément entrevues, d'épistoliers et de polygra- ^.^|\
phes en un mot avidement dévorés, toute cette '^^^^s^k bibliothèque renversée, toute cette surabondance v?' I'\M>" de documents amassés, toute cette jonglerie d"'in-folio et d'in-douze pour aboutir à cette lé- gère dissertation littéraire, à cette quintessence historique et anecdotique sortie de Falambic des recherches, et on aura, en quelque sorte, une image analogue à celle que peut inspirer une coquette mosaïque agréablement disposée et dont toutes les menues pierres proviennent d'é- normes blocs que la mine seule a fait jaillir des carrières, et qu'il a fallu tailler et polir pour le plaisir des yeux, comme eût dit le bon Fénelon. Qu'on ajoute à ceci, pour ceux qui connais- sent l'art du livre et les labeurs de sa confection, l'obligation qu'avait l'auteur, dans cet ouvrage tout de repérage, de repérer son esprit dans les enjolivements gracieux des marges, la com- pression de toute fantaisie de style dans un cadre inexorable de croquis mis sur cuivre et par con- séquent non mobiles, la nécessité enfin de s'é-
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— i33 — quilibrer et de prendre son élan pour traverser bien à propos de son texte Tesprit des gravures, semées sur la piste de ce livre, comme une écuyère qui crève avec une aisance apparente des cerceaux de papier. Que Ton mette aux prises la conscience du littérateur et de Térudit avec Tamour-propre du bibliophile et de Tartiste, et Ton demeurera convaincu que cette histoire anecdotique et littéraire de VEventail ne pou- vait être mieux traitée dans ce domaine d'une littérature qu'on pourrait nommer cewfre gauche, car elle ne procède entièrement ni des extrava- gances de l'imagination abandonnée à elle- même, ni des froides dissertations d'une érudi- tion hérissée de notes, de notules, de réfutations et de dates, c'est-à-dire des boursouflures de la pédanterie.
Mais si, au cours de ce volume, nous avons fait grâce au lecteur des références d'usage pour les érudits, nous ne devons pas porter trop loin notre esprit d'indépendance et il est de notre devoir d'indiquer ici nos sources, sous forme de pièces justificatives, ne serait-ce que pour nous cuirasser contre l'esprit de médisance tou- jours aux aguets.
Nous rendons tout d'abord hommage à deux de nos plus remarquables prédécesseurs, dont les sérieux travaux, conçus dans un esprit plus descriptif et moins fantaisiste que celui qui nous
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i34 — guidé dans cet ouvrage, nous ont été utilité incontestable, et auxquels nous avons eu quelquefois recours en les citant. Nous voulons parler en premier lieu de M. Natalis Rondot, membre du xxix" Jury à TExposition univer- selle de i85i, qui, en sa qualité de délégué de la chambre de commerce de Lyon, a fait un rap- port de très haute valeur sur les Objets de parure et de fantaisie, parmi lesquels l'Even- tail (Travaux de la commission française sur l'industrie des nations, publiés par ordre de l'empereur (t. VIT, p. 60 à 79 du xxix'^ jury). Paris, Imprimerie impériale, i855. (i vol. in-8°.) En second lieu, nous devons signaler avec gratitude l'Histoire des Eventails et les notices sur récaille la nacre et l'ivoire, par M. S. Blon- del. qui reprenant le résumé de M. Natalis Rondot, a trouvé matière à un fort estimable et ingénieux volume in-8 publié chez Renouard, en 1875, ouvrage où nous avons puisé certains renseignements utiles pour notre historique de rÉventail jusqu'au xvr siècle.
Ces publications récentes et très soignées s'occupent des Eventails au point de vue abso- lument technique et artistique, alors qu'ici nous abordons seulement la monographie de l'Even- tail à travers les mœurs, l'histoire et les let- tres; coup d'œil rapide^ aperçu furtif sans autres prétentions, comme nous le faisons remarquer
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— i35 — dans notre avant-propos à ce livre, que de récréer et d'instruire quelques-unes de nos 'S'-^ aimables contemporaines.
>^'vM'sj1 ji convient de citer aussi comme recueil hors pair un manuscrit qui est de la main de M. Noël, inspecteur de l'université, dont la vente fit sensation il y a quelques années en raison de la réunion piquante d'ouvrages ero- tiques qu'elle contenait. Ce manuscrit faisait partie d'une collection en une vingtaine de volumes, qui fut acquise par un libraire en 1879. Il est aujourd'hui dans la bibliothèque du baron P*** et renferme de nombreuses copies de petites pièces fugitives sur l'Éventail.
Donnons maintenant dans l'ordre — peut- être dira-t-on dans le désordre de nos notes? — la nomenclature froide des principaux ouvrages où nous avons trouvé un renseignement, une particularité, ne fût-ce qu'un mot sur le sujet que nous avons eu à traiter. Cette liste, pour longue qu'elle soit, n'est pas encore absolument complète.
Nougaret : le Fond du sac. — Galland : Mille et une Nuits. — Kalidasa : Sakountala. — Mary Summer : Contes et légendes de l'Inde ancienne. — Histoire de Bouddha Sakjra-Mouni. — Ency- clopédie : mot : éventail. — Dictionnaire de la conversation de Duckett. — Comte de Beauvoir : Voyage autour du Monde. — Achille Poussiel-
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— i36 — gue : Voyage en Chine. — J.-B. Wilkinson : Manners and ciistoms of the ancient Egyptians.
— Sabine on matinée d'une dame 7~omaine à sa toilette à la fin du i" siècle de Père chrétienne, traduction de Boettiger. — Montfaucon : Anti- quité expliquée. — Théophile Gautier : Contes et Romans. — Le Roman de la Momie. — Jules de Saint-Félix : Cléopâtre. — Mémoires et Voj^ages du capitaine Basil Hall. — Lettres de Gue:{ de Bal:{ac. — Histoire de la ville de Khotan, traduite des Annales chinoises, par Rémusat. — Li-Kiou : Mémorial des rites. — Winckelmann : Description de pierres gravées du baron de Stosch.
— Perse : Satires. — Térence : . l'Eunuque. — Ovide : Amours. — Piroli et Piranesi : Antiqui- tés d'Hercidanum. — Gravures de Fischbein. — Paciaudi : Sntagm. de umbellœ gestatione. — Passeri : Picturœ in vasculis. — Leipis Nichols : The progress and public Processions of queen Elisabeth. — Dezobry : Rome au siècle d'Auguste:
— Paudrillart : Histoire du luxe (passim). — Anthony Rich : Dictionnaire des antiquités romaiîjes et grecques. — René Ménard : Vie privée des anciens. — Cérémonies et coutumes religieuses, 1723. ' — Henri Estienne : Deux dia- logues du nouveau langage francois, italianisé et autrement dégui:{é, 1578. — Notice des émaux du Louvre. Glossaire et répertoire, au mot: ESMOucHOiR ■ — Nouvelle histoire de l'Abbaie
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royale et collégiale de Saînt-Filiberi et de la ville de Toiirnus, par un chanoine de la même abbaie (Pierre Juenin). — Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, — Duranti : De ritu ecclesias- tico. — Bona : De rebiis liturgicis. — Marquis de Laborde : Glossaire du moyen âge. — Estienne Boileau : Livre des mestiers. — Fabri : Diver- sariini nationum ornatus. — Rabelais (passim). — Brantôme : Mémoires et vie des dames galantes.
— Inventaire des meubles de Catherine de Médi- cis (rSSg). — Journal et Mémoires de Pierre de TEstoile. — Agrippa d^Aubigné -.les Tragiques.
— L'Eventail satirique, par le nouveau The'o- phile, réimprimé par Edouard Fournier dans ses Variétés de la Bibliothèque el:{évirienne (t. VIII), — Fairholt : Glossary of costumes in England. — Lettres de M ""= de Sévigné. — Recueil de Sercy. — Cotin : Recueil des énigmes de c. temps. — Métamorphoses françoises. — Somaize : Dictionnaire des précieuses. — Molière : Œiivres-
— Colletet : Nouveau recueil des plus beaux énigmes de ce temps. — Tallemant des Réaux : Anecdotes. — M"»^ de Motteville : Mémoires. — M"" de Montpensier : Mémoires. — Paul Lacroix: xvir siècle; Institutions, usages et costumes. — Remy Belleau : Bergerie. — M. de Montreuilf Poésies diverses. — A. de La Chaux et Le Blond : Description des pierres gravées du cabie
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net du duc d'Orléans. — Menagîana. — M. de Vallange : l'Art de se garantir des incommodités du chaud, selon les principes de la physique, de la médecine et de l'économie, — L. Simond : Voyage d'Italie. — Mercure de France : Éloge historique de Bernard Picard (décembre 1/35).
— M""= de Genlis : la Duchesse de La Vallière.
— Dictionnaire des étiquettes. — D''Alembert : Réexions et anecdotes sur la reine de Suède. — Mercure de France ; Pesselier : Origine des Even- tails (1755). — Paj'is Versailles et les Provin- ces. — Bachaumont : Mémoires secrets. — M. Milon : l'Eventail ou Zamis et Delphire, poème en quatre chants, 1780. — Caraccioli : le Livre des quatre couleurs. — L'Eventail, comédie italienne en trois actes, par M. Goldoni, représentée aux Italiens en 1763. — Essai his- torique et moral sur l'Eventail et les Nœuds, par un capucin, 1764. — E Eventails, poème traduit de l'anglais (de John Gay), par Coustard de Massy (1768). — La Feuille nécessaire con- tenant divers détails sur les lettre les sciences et les arts (feuille du 21 mai 1759). — Esprit des journaux (décembre 1780). — Almanach litté- raire, 1790. — De Favre : les Quatre heures de la toilette des dames (1779). — Révéla- tions indiscrètes du xyu!"* siècle (18 14). — Mer- cure de France (octobre 1759) : Analyse du poème : l'Eventail, de Gay. — Rabener : Œuvres:
— i39 — Des moyens de découvrit^ à des signes extériiirs les sentiments sec7~ets, — ■ Voyage dans le bou- doir de Pauline, par L. F. M. B. L. (an IX, chapitre xiii). Spectateur d'Adisson. — Duclos : Mémoires secrets. — Le Mierre : Œuvres. — Desprez : l'Eventail, chanson (frimaire an VI).
— Lebrun : l'Eventail de Carite. — • Mérard de Saint-Just : Poésies. — L'Adolescence ou la boëte aux billets doux, poème (d^Hyacinthe Gaston), chant II. Ages de la femme. — Paul Lacroix : xvni" siècle : Institutions , usages et costumes. — Balzac : le Cousin Pons. — La Bacriade, ou la Guerre d'Alger, poésie héroï- comique en cinq chants, par MM. Barthélémy et Méry ; Paris, Dupont, 1827, in-8° de 96 pages.
— L'Album, journal des arts, des modes et des théâtres, 1821, t. II. — Charles Blanc : VArt dans la parure et dans le vêtement , 1875. — Adolphe Jullien : Histoire du costume au théâtre, 1880, etc., etc.
Nous nous arrêtons dans cette nomenclature de bibliographie sommaire, car^ depuis la Révo- lution jusqu^à nos Jours, il nous faudrait un assez fort volume pour contenir la simple suite des ouvrages où il est fait mention de l'Even- tail.— Résumons cependant les dernières pièces de théâtre ou de vers qui portent un titre ana- logue à notre sujet et qui ont été faites récem- ment.
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L'Éventail, comédie par Pages de Nqye^, in- 12. Paris, 1871. — L'Éventail, opéra-comique, par Jules Barbier et Michel Carré, musique de Boulanger, Paris, in-12, 1861. — L'Éventail de Géraldine, comédie-vaudeville, par G. Potier, Ernest Mouchelet et Edgar Ghanu. Paris, iSSg, in-S", jouée au théâtre des Folies-Dramatiques. — Coups d'éventail (pensées détachées), par M""= Claudia Bachi, Paris, Ledoyen, i856, in-32.
Un coup d'Éventail, comédie en un acte, par
Gharles Nuitter et Louis Dépret, jouée au Gymnase en 1869. — L'Éventail brisé, par Arsène Houssaye, 1875.
Si à cette liste déjà trop longue et rédigée en dehors des formules précises et exactes de la bibliographie, il nous fallait joindre les diffé- rentes statistiques de l'industrie en France et à Paris où il est longuement question de la fabri- cation des éventails, nous ne saurions plus nous arrêter dans des limites raisonnables.
Nous citerons cependant le curieux Cata- logue ofthe loan Exhibition of fans, édité par Strangervays et Walden et qui résume la grande exposition d^Éventails qui eut lieu en mai 1870 au South Kensington Muséum, de Londres, sur l'initiative de S. M. la reine Victoria.
Un article publié par le Figaro du 3 juillet 1870, sous le pseudonyme de Montjoie, nous
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fournit sur cette exposition, qui contenait 413 modèles d'Éventails originaux hors ligne, les quelques renseignements suivants qu'il n'est pas sans intérêt de citer ici :
La comtesse de Paris a envoyé un très bel Éven- tail, peint par Eugène Lamy: une scène vénitienne. On voit aussi l'Éventail qui figurait dans la corbeille de la duchesse d'Orléans, peint par Gigoux et qui a été donné par le comte de Paris à la princesse Hélène, épouse du prince Christian. Cet Éventail se trouve, détail piquant, immédiatement proche de celui donné à la reine Victoria par l'empereur et l'impératrice des Français, en souvenir de sa visite à Versailles et à Saint-Cloud, en i855. Au-dessous se trouvent l'Éventail de la reine des Belges, prêté par la reine Victoria, ainsi que celui de Marie- Antoinette, en vernis Martin. Viennent ensuite les Éventails de la princesse royale de Prusse, avec des vues de Berlin, Balmoral Windsor, Coblentz, Buckingham Palace, Babelsberg et Osborne, puis l'Éventail de M"^ de Pompadour (?) , prêté par M. Jubinal, dont les sujets sont assez légers; celui de M™" de Pourtalès, présent de S. M. l'impé- ratrice, sujet genre Watteau; un bel Éventail en vernis Martin, la toilette de Vénus sous les traits de M™" de Montespan, Éventail historique, grâce à une lettre de M"^ de Sévigné, qui le décrit ; un Éventail appartenant à M""" de Nadaillac, peint par Gavarni, et un autre à la duchesse de Mouchy, peint par M"° de Nadaillac. M""" la vicomtesse Aguado, M™' de Saulcy, M""" Bourbaki, d'Armaillé,
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la comtesse Duchâtel, Furtado, Heine, de Roths- child, du Sommerard, sont au nombre des expo- santes. C'est M. du Sommerard qui a été désigné par l'impératrice pour aider les Anglais dans cette exposition.
Le Catalogue of the loan Exhibition of fans contient une succincte introduction, six pages, par M. Samuel Redgrave et en appendice le nom des principaux riches amateurs qui ont contribué à la variété et à l'intérêt de cette exposition. — C'est là le Livre d'or des collectionneurs d'Éven- tails, parmi lesquels, disons-le, les dames, comme il convient, sont en majorité.
Il nous reste à remercier un jeune amateur d'art et un fin connaisseur, M. Germain Bapst, qui a bien voulu mettre à notre disposition un dossier de notes réunies dans le but d'un ouvrage sur les Éventails et que notre rôle d'historien littéraire et d'anecdotier ne nous a pas permis de compulser, comme nous l'eussions fait davan- tage, si notre étude avait porté sur la monographie descriptive et l'histoire générale des Éventails cé- lèbres.
Nous devons rendre aussi hommage au savoir et à la bonne grâce cordiale de nos confrères et amis Paul Lacroix, Arsène Houssaye, Jules Claretie, Edmond de Concourt, Champfleury, Charles Monselet, etc., qui, dans le charme et la variété des conversations littéraires, nous ont
— 143 — apporté un renseignement, une anecdote, un mot plaisant, ne fût-ce qu'un détail : toutes petites paillettes précieuses qui brillent comme un joli semis d'or sur les arabesques historiques de notre Eventail.
Nous regrettons en terminant de n'avoir pu trouver certaine Bibliothèque des Eventails qu'un bibliographe, évidemment fantaisiste^ du xvin« siècle prétend avoir rencontrée, dans VArmoire de Pauline. Il y avait là, — qu'en faut-il croire? — une collection de quelques petits volumes in- 12 bien coquets, bien mignons, reliés en satin rose et parfumés avec les essences les plus exquises. Le texte, écrit en encre sympathique, exprimait les tendres épanchements des cœurs poétiques, et l'on y voyait Corydon enlevant à ce monde terrestre et nébuleux l'Éventail de sa chère Chloé ou de son Amaryllis, pour le sus pendre au temple de l'Immortalité.
Puisse VEventail que voici suppléer à cette jolie bibliothèque! Puisse-t-il également rester attaché quelque temps au temple du Goût et re- cueillir les hommages féminins, les seuls qu'il convoite !
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ACHEVE D'IMPRIMER
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